Les aventures des explorateurs originaires de nos régions… Ce sujet passionnant et méconnu a retenu l’attention d’un philosophe, amateur de livres et d’histoire(s). Alban van der Straten est parti sur leur piste, traçant les itinéraires et les péripéties de ces hommes aux tempéraments affirmés.
En parcourant la vie de ces hommes au destin brillant, c’est l’histoire de la chrétienté qui apparaît en filigrane. En effet, 800 ans d’Histoire servent de toile de fond à ces aventuriers, tantôt missionnaires, tantôt chercheurs d’or. Tous les profils sont admis dans cette panoplie. Publié simultanément en néerlandais et en français, cet ouvrage présente 34 portraits d’hommes connus ou peu connus, voire ignorés du grand public. Tous ont pour point commun un lien avec la Belgique, même si celui-ci demeure ténu. Trois des critères de sélection ont prévalu pour sélectionner les personnalités dépeintes. Il faut tout d’abord disposer d’un témoignage concret, à savoir une trace écrite consignée par le héros ou, au minimum, un témoin de l’épopée. Ensuite, le personnage doit se distinguer dans sa démarche par une qualité de pionnier ou de découvreur d’inédit. Enfin, le troisième et non le moindre des critères retenus est la belgitude, une notion fluctuante par excellence, puisque les frontières étatiques n’ont cessé de changer au fil des conflits.
Du côté des croisés, Alban van der Straten épingle peu de curiosité dans leur démarche. "Je n’ai pas trouvé beaucoup de témoignages qui s’apparentaient à des récits d’exploration parmi les écrits laissés par les chroniqueurs des croisades. Ce sont des récits de batailles et de conquêtes, mais peu de curiosité pour les peuples rencontrés au Proche-Orient et en Palestine." Des propos aussitôt nuancés, puisque "les croisades vont fournir le premier élan d’exploration européenne au-delà des frontières de l’Europe au cours du Moyen Age. L’élément déclencheur va être l’arrivée des Mongols, qui divise et terrorise la chrétienté. Le premier à réagir, c’est le pape qui envoie quelques ambassades pour tâcher d’amadouer le grand Khan. Ensuite, c’est le roi de France, qui prend la relève et envoie un franciscain flamand, Guillaume de Rubrouck." Philosophe de formation, le chercheur reconnaît qu’il se passe "quelque chose" avec les premières rencontres de ces explorateurs-innovateurs, lorsque jaillit "le moment du premier contact entre deux civilisations". Amateur de haute mer et de haute montagne, Alban a eu l’occasion d’ouvrir, à plusieurs reprises, dans un bateau ou un refuge, "un livre d’aventurier qui fait rêver en attendant que le soleil revienne". De tous ces personnages, ses favoris demeurent les navigateurs à l’instar de Jacob le Maire, qui a découvert le passage du cap Horn.
Le leurre de l’objectivité
Il y a bientôt 30 ans, en visite à Mexico, Jean-Paul II a béatifié Pierre de Gand, qui fut le premier missionnaire du continent américain. Probablement de sang royal, puisqu’on le suppose être le fils naturel de l’empereur Maximilien Ier
et l’oncle de Charles Quint, ce franciscain fut un ardent défenseur de la cause indienne. Son bilan demeure toutefois contrasté aux yeux d’Alban qui déplore notamment un système d’acculturation de la jeunesse aztèque. Et, c’est précisément une nécessité de la démarche scientifique que de rapporter des propos en les contextualisant. L’ouvrage est parsemé çà et là de synthèses qui résument la personnalité des voyageurs et sont, l’air de rien, des prises de position. "Je n’invente rien, tout est étayé sur des sources. Quelquefois, j’éprouve le besoin de clarifier certaines positions ou certains sentiments vis-à-vis de l’un ou de l’autre." Alban ne craint pas de mettre en garde ses lecteurs face à des récits d’exploration qui, selon lui, manquent de crédibilité ou sous-estiment la puissance des Indiens d’Amérique, par exemple. A la fin de chaque portrait, des résumés succincts décrivent les tempéraments des personnalités dépeintes. Pour le philosophe, qui a œuvré pendant deux ans sur cette recherche, l’apparition des photographies n’a pas radicalement changé le rapport aux sources. "Pour les voyages plus anciens, on dispose souvent de gravures, qui sont parfois de véritables petites bandes dessinées où plusieurs scènes sont représentées sur une seule image. C’est presqu’un film documentaire." Gravures, dessins, portraits, esquisses, photos… une multitude de documents ont été compulsés par Alban van der Straten. De nombreux documents sont d’ailleurs reproduits en couleurs afin d’illustrer cet ouvrage. "Ça rend le récit plus accessible et plus vivant!", se réjouit l’auteur belge.
L’exception jésuite
Pendant deux siècles, les jésuites ont été les seuls Européens autorisés à séjourner en Chine. Parmi eux, Ferdinand Verbist fut "un homme de la Renaissance aux multiples talents". Astronome officiel de l’empereur, il figure encore aujourd’hui sur une liste de 108 héros chinois. Moins connu du public, Antoine Thomas lui succède, après avoir enseigné dans les villes de Namur, Huy et Tournai. Sa carrière internationale sera également remarquable. "L’histoire des missionnaires jésuites en Chine est fascinante, non seulement au regard de leur rôle de pionniers des relations sino-européennes, mais aussi parce que c’est une histoire dramatique et pleine de rebondissements. Pris continuellement entre le marteau de la xénophobie chinoise et l’enclume des suspicions de Rome, entraînés d’intrigues en persécutions et en coups de théâtre, ils connaîtront une destinée hors du commun…"
L’inévitable Congo
Pour les Belges, s’il est une terre d’exploration privilégiée, c’est celle du Congo. Des missionnaires présents en Afrique n’hésitent pas à dénoncer les excès commis par certains colons. "Les missionnaires protestants et catholiques ont joué un rôle pour dénoncer certains abus commis. Ce rôle a été important, puisque ces abus étaient commis au fond de la forêt vierge, loin de tous les regards." Le voyage dans l’ouvrage se poursuit avec un autre continent et celui qui fut surnommé affectueusement "robe noire" par les Indiens, Pierre-Jean De Smet. Ce jésuite fut notamment amené à négocier avec Sitting Bull, le fameux chef des Sioux. Mais, le plus connu de tous les explorateurs, c’est indubitablement Adrien de Gerlache. "Son expédition dans l’Antarctique en 1897-1899 est incroyable à tous égards. Il la monte pratiquement seul, puisque la Belgique n’avait plus de tradition maritime à l’époque. Il s’est donné les moyens de la mettre sur pied par une souscription nationale", expose Alban van de Straten, impressionné par la détermination du marin belge.
Angélique TASIAUX