Le vainqueur des primaires de la droite française affiche sa foi mais prône également un plus grand libéralisme. Paradoxe?
Avec la victoire de François Fillon aux primaires de la droite et du centre en France, on assiste à un retour de l’appartenance chrétienne sur la scène politique de l’Hexagone. Dans l’histoire de la Ve république, l’irruption des catholiques sur le devant de la scène politique est inédite. Qui plus est, il semble que l’affirmation publique par François Fillon de sa foi chrétienne et de sa pratique religieuse lui ai valu de nombreuses voix. Peut-être même a-t-elle contribué en partie à sa victoire. En quelques mois, il aura enfoncé deux portes traditionnellement fermées dans le débat politique français: l’appartenance chrétienne et le désir d’un plus grand libéralisme sur le plan économique. Le désormais candidat président de la droite française propose donc un modèle qui, il y a peu, aurait été considéré comme doublement inacceptable: catholique et libéral.
Grâce à l’appui de « Sens commun »
L’attachement affiché de François Fillon au catholicisme est une constante audacieuse dans un pays qui s’est construit sur la laïcité. Parmi les candidats de la droite et du centre, il est le seul à se déclarer pratiquant régulier. Dans son livre, « Faire », paru chez Albin Michel, le candidat explique se ressourcer chaque année à l’abbaye bénédictine de Saint-Pierre de Solesmes. En tant que croyant, il se déclare également personnellement opposé à l’IVG (interruption volontaire de grossesse), tout en assurant qu’il ne reviendrait pas sur cette loi. Mais c’est surtout à l’occasion des grandes manifestations de 2013 s’opposant au mariage pour tous, qu’il va véritablement « capitaliser » ses convictions, en voix.
Alors que les rues de Paris sont envahies par des centaines de milliers de manifestants, il affiche ouvertement sa sympathie pour eux. Au contraire des autres candidats de la droite, qui avaient assez vite tenu ces militants pour quantité négligeable, l’ancien Premier ministre de Nicolas Sarkozy prend la peine de lire le programme de « Sens commun », ce parti politique embryonnaire né dans la foulée de ces manifestations. Lors de sa campagne pour les primaires, il décide de rencontrer ces militants et discute leur programme sur la réforme de l’école primaire ou le terrorisme islamique, tout en refusant, ainsi que Sens Commun le souhaitait, d’abroger la loi Taubira. Quelques semaines plus tard, le candidat fait part publiquement dans sa lettre aux Evêques, – lesquels s’étaient préalablement exprimés sur la perte de sens en politique (cfr notre édition d’octobre) -, qu’il « voulait réécrire le droit de la filiation pour figer le principe selon lequel un enfant est toujours le fruit d’un père et d’une mère ». Il assure aussi qu’il fermera la porte à la GPA (gestation pour autrui) pour les couples de même sexe. Heureusement surpris par la constance de François Fillon, « Sens commun » décide alors in extremis de mettre son réseau à disposition du candidat: quelque 9.000 militants et près de 30.000 sympathisants sont prêts à distribuer des tracts, à tenir des bureaux de vote ou à faire « la claque » aux meetings. Un soutien aussi inattendu qu’estimable.
Mais si François Fillon est le candidat choisi par « Sens Commun », il n’a pas cantonné son engagement religieux au seul domaine des mœurs. Le contexte moyen-oriental, où les chrétiens d’Orient font l’objet de persécutions, a été plusieurs fois l’objet de déplacements et de meetings du candidat à la primaire. Lors d’un voyage au Liban, il assure voir dans le sort réservé aux chrétiens un funeste présage pour la paix dans le monde et en Europe. « Si on laisse exclure les chrétiens et les juifs du Proche-Orient, vous n’empêcherez pas un jour les Européens d’appliquer le même raisonnement vis-à-vis des musulmans. Un territoire= une religion », explique-t-il en juin 2016, « c’est le choc des civilisations qui est en germe. Croyez-vous que, dans les pays de vieille tradition chrétienne, on supportera la création d’Etats confessionnels franchement hostiles aux chrétiens et aux juifs ? Non, évidemment: l’opinion réagira de manière forte et aura la tentation de se retourner contre les musulmans occidentaux. Il en sera alors fini de la fraternité ».
Sur la scène française, la succession d’attentats terroristes lui donne une nouvelle occasion de réaffirmer son attachement aux valeurs chrétiennes, dont la frange pratiquante se sent de plus en plus minoritaire sur son propre territoire. Dans sa lettre aux évêques, il réaffirme: « J’agirai pour qu’un islam respectueux de nos valeurs voie le jour en France », tout en estimant qu’il ne sert à rien de déplacer le débat en durcissant les règles de la laïcité, quand le problème réside essentiellement dans l’adaptation de l’islam aux valeurs de la République, – un chemin qui a été parcouru par les Juifs et les catholiques eux-mêmes.
Plus de libéralisme
malgré les critiques du pape
Si d’aucuns le voient comme le représentant d’une France passéiste qui s’appuie sur un électorat se considérant comme le détenteur légitime d’un patrimoine chrétien ayant façonné l’Europe, François Fillon tente cependant d’échapper à ce prisme trop restrictif. Et c’est là l’autre « surprise » du candidat. L’ouverture qu’il propose est, en effet, le second tabou de la société française: il prône un libéralisme plus grand qui cherche à ramener les capitaux vers l’Hexagone, à simplifier licenciements et embauches, à réduire la mainmise de l’Etat dans certains domaines, y compris la santé, et à diminuer le nombre de fonctionnaires. « En ce sens », ainsi que le notait un observateur, « le programme de François Fillon tourne le dos aux critiques du pape envers le système économique et contredit ses appels à sortir du néolibéralisme ». Mais pour Fillon, que l’on dit plus pragmatique qu’idéologue, il semble que la France ait autant besoin d’ouverture économique que de réaffirmation de ses valeurs chrétiennes et que l’un et l’autre ne soient pas incompatibles.
Laurence D’Hondt