Frédéric de Thysebaert – L’irrésistible appel de Tibhirine


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Frédéric de Thysebaert –  L’irrésistible appel de Tibhirine
Par La rédaction
Publié le - Modifié le
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fdtFrédéric de Thysebaert, laïc cistercien de Scourmont, vient de passer près de deux ans et demi au monastère Notre-Dame à Thibirine. Avec beaucoup de sérénité, il témoigne de ce "haut-lieu de solitude sacrée" perché sur les contreforts de l’Atlas algérien.

Administrateur réseaux et systèmes à la Croix-Rouge pendant un quart de siècle, Frédéric de Thysebaert, laïc cistercien, mais aussi président de la Fabrique d’église de Faulx-les-Tombes, vient de revenir en septembre d’un long séjour au monastère Notre-Dame de l’Atlas à Tibhirine, un hameau de la ville de Medea, à 90km d’Alger.

"J’ai répondu à un appel, c’est un choix personnel, nullement lié à mes engagements de laïc cistercien à Scourmont – Dom Armand Veilleux ne m’a rien demandé! – qui m’a fait partir à Tibhirine et donc démissionner de mon job à la Croix-Rouge", explique Frédéric de Thysebaert.

Pour "justifier"ce départ, ce choix radical de changement de vie, notre interlocuteur fait état de deux éléments déterminants qui ont résonné pour lui comme des "appels".

"Lors de la Pentecôte de 1996 à Notre-Dame de Paris, quelques mois donc après l’enlèvement des sept moines de Tibhirine, le cardinal Jean-Marie Lustiger a éteint les sept cierges qui brûlaient en signe d’espoir et le glas a sonné dans toutes les églises de France."

L’autre fait déclencheur à ce départ vers l’Atlas fut, en 2010, le film de Xavier Beauvois ‘Des hommes et des dieux’ (trois Césars et le Grand prix du jury au Festival de Cannes) "qui créa chez moi une telle émotion qu’il fallait que je parte vers Tibhirine".

Mémoire incontournable

Après deux courts séjours préparatoires en 2011 et 2013 qui lui permettent de se familiariser avec le monastère algérien, Frédéric de Thysebaert signe un contrat de travail avec la Délégation Catholique à la Coopération (un organisme français), et boucle ses valises le 14 avril 2014 pour mettre le cap sur Tibhirine.

"En décidant d’aller là-bas, j’ai pris la mesure du poids de cet héritage de près de soixante ans de présence silencieuse et laborieuse avant que Tibhirine ne devienne ce haut-lieu de l’histoire de l’Eglise du XXIe siècle."

Précisant qu’il n’est pas moine, Frédéric de Thysebaert explique qu’il ne copiait pas totalement ce mode de vie et de prière, mais a cherché néanmoins à s’en approcher. Plus de deux ans après, il confie en être totalement imprégné: "Ma vie et presque ma chair sont marquées par ce lieu de façon définitive."

Dans les tâches quotidiennes qu’il exerce au monastère, "il n’est pas de jour où n’est évoqué le temps des moines, leur manière de faire, la haute estime de la population, des visiteurs, des ouvriers et des familles du monastère". La mémoire, en ce lieu de "présence priante", est incontournable.

Le relais au Chemin-Neuf

Sur place, Frédéric de Thysebaert a partagé une vie de prière et de labeur avec le Père Jean-Marie Lassausse, prêtre de la Mission de France, installé à Tibhirine depuis 2001 déjà.

L’archevêché d’Alger lui a confié la gestion des lieux jusqu’à l’arrivée d’une nouvelle communauté. Ce qui est d’ailleurs chose faite depuis mi-août dernier, avec l’arrivée au Monastère de l’Atlas de deux frères et deux sœurs de la Communauté catholique à vocation œcuménique du Chemin-Neuf. Ce qui justifie d’ailleurs le départ du Père Lassausse et de Frédéric de Thysebaert de Tibhirine, le monastère étant aujourd’hui pleinement réinvesti par cette communauté catholique.

Pendant un peu plus de deux ans, et de son propre aveu, l’ancien informaticien de la Croix-Rouge a été fort occupé à Tibhirine! Outre l’exploitation agricole de quelque huit hectares cultivés avec le Père Lassausse mais aussi deux ouvriers du village qui étaient déjà salariés du temps des Frères, le domaine abbatial comprend pas moins de 2.500 arbres fruitiers, sans oublier une trentaine de ruchers, une petite fromagerie (lancée par Frédéric) et un troupeau d’une dizaine de moutons.

La gestion de l’hôtellerie ouverte aux croyants et non-croyants, qui peut accueillir jusqu’à 35 retraitants, fut une autre charge importante de Frédéric de Thysebaert. "L’hôtellerie de Tibhirine est toujours restée ouverte, avec la possibilité d’assister aux moments de prières qui rythment la vie monastique, même si souvent, nous ne nous retrouvions qu’à deux, le Père Lassausse et moi…" Enfin, l’organisation et les visites du monastère étaient aussi de la responsabilité de Frédéric. Chaque année et malgré certaines "tracasseries" sécuritaires (le voyage depuis Alger ne peut se faire que sous plusieurs escortes, à l’aller comme au retour!), plus de sept mille visiteurs franchissent les grilles du monastère, dont 95% sont Algériens et musulmans.

Les fleurs de l’espérance

Un des moments particulièrement poignants vécu par Frédéric de Thysebaert à Tibhirine fut, à l’automne 2014, la ré-inhumation des sept têtes des moines, suite à leur examen dans le cadre de l’enquête judiciaire. Cette dernière a été diligentée, sur une plainte déposée en 2003, par deux juges d’instruction français et algérien pour faire "la vérité sur les circonstances de leur mort."

Revenu aujourd’hui en Belgique, Frédéric de Thysebaert va tenter de se réinsérer dans la vie active. "Mais je vais surtout m’atteler à faire vivre ici, et donc transmettre, l’esprit de Tibhirine", précise celui qui approche les soixante ans, soit exactement le temps durant lequel les moines ont marqué le lieu de leur présence silencieuse et laborieuse. Malgré les événements tragiques de mars 1996 avec l’enlèvement et la mort des sept Frères cisterciens qui ont donné leur vie "en fidélité à Dieu, à un peuple et à cette terre qu’ils ont tant aimée", Tibhirine reste en effet un "carrefour du dialogue avec les musulmans" en Algérie.

Avec un jeune ami musulman, Frédéric va ainsi porter ce témoignage tous les trimestres en s’associant à Bruxelles au groupe de parole El Kalima.

Mais dès cet automne, il reprendra le chemin de Tibhirine pour s’associer au "Ribat El Salam", un moment de rencontre entre chrétiens et musulmans initié dès les années septante par les Frères cisterciens. Abandonné pendant 18 ans, ce moment de "vivre ensemble", programmé deux fois par an, a été relancé au printemps 2015. "La preuve, sourit Frédéric de Thysebaert, que sur le sang des Frères fleurissent enfin les fleurs de l’espérance."

Propos recueillis par
Hugo LEBLUD

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