Un nombre croissant d’acteurs du voyage ou du web propose à leurs clients des voyages payants pour aider les populations en détresse. Ce « volontourisme » est même devenu un business très profitable.
SJ Vietnam était une petite ONG qui travaillait sur le fleuve rouge, dans la banlieue d’Hanoï. Des enfants et des femmes y trouvaient refuge pour l’éducation, les soins, parfois l’hébergement. Fondée en 2004, SJ Vietnam était un projet qui tournait grâce à la présence de volontaires qui s’y relayaient, mais le projet souffrait par moments d’un manque d’effectifs. C’est alors qu’un homme est venu leur faire une offre alléchante: s’occuper du recrutement des volontaires qui viendraient en nombre constant apporter leur aide. « On a été évidemment séduits« , se souvient Pierre de Hanscutter, le fondateur du projet, « mais c’est alors que les problèmes ont commencé: les jeunes envoyés n’avaient aucune préparation, étaient venus avec des bonbons et râlaient d’être logés sur un matelas pneumatique. J’ai compris progressivement que l’intermédiaire leur avait vendu la destination à 2.000 euros, en leur assurant qu’ils allaient vivre une plongée dans Apocalypse Now« .
Cette expérience a alerté le fondateur de SJ Vietnam qui est devenu aujourd’hui Service Volontaire International, une association belgo-française qui envoie 900 jeunes sur le terrain, dans un esprit de volontariat. Depuis les années 2000, l’engouement pour l’engagement humanitaire a fait l’objet d’une récupération par un nombre croissant d’opérateurs du web ou d’agences de voyage à des fins lucratives qui proposent à leurs clients de faire des voyages de rencontres, d’aide au développement ou de l’écotourisme. Il s’agit de participer le temps d’une semaine à un projet de développement, de replanter des arbres ou de partager des expériences humaines. Rien de très contestable, si ce n’est que, contrairement aux principes qui guident le volontariat, ces voyages sont chers, parfois très chers et que les bénéfices ne vont pas seulement au projet…
Une dérive aux multiples effets
En Belgique, la plateforme Alter-voyages a sélectionné un ensemble d’ONG et d’associations, réunies sous le terme de ‘tourisme équitable’, qui proposent des voyages axés autour d’un projet social, écologique, culturel ou parfois religieux, avec la collaboration des partenaires du sud. Si ces voyages se distinguent plus ou moins du volontariat, car ils peuvent coûter cher, leurs retombées locales sont également variables d’un projet à l’autre. Mais, dans ce secteur en vogue qu’est le volontourisme, – contraction de volontaire et de tourisme -, tout est question de nuances. Certains opérateurs arrivés sur le marché du volontourisme, envoient littéralement des personnes n’importe où, n’importe comment, dans l’idée primordiale de se faire de juteux bénéfices sur le dos de jeunes de bonne volonté. Ainsi Projects Abroad ou sa petite sœur low coast, Wep. « Ce sont des sociétés qui viennent du monde anglo-saxon et surfent sur la vague des catastrophes, cherchant celles qui suscitent une émotion internationale comme le tremblement de terre au Népal ou l’arrivée des migrants sur les côtes européennes. » Plus de 10.000 jeunes du monde entier ont été envoyés cette année par Projects Abroad participer, le temps de quelques semaines, à des projets de développement. Des jeunes auront ainsi pu enseigner le français à des universitaires mexicains sans aucune qualification pédagogique, changer des bandages sur des plaies purulentes en Afrique, sans aucune connaissance médicale ou, dernier projet en date, accompagner les migrants dans leurs démarches administratives en Italie, sans même connaître l’italien…
Pour le monde de l’aide au développement, il y a une confusion des genres qui est dommageable, à plusieurs titres. Pour le jeune ou l’adulte qui pense sincèrement participer à un projet de développement, mais ne sait pas qu’il va d’abord enrichir les poches de l’opérateur. Mais aussi pour les personnes aidées qui ne trouveront pas nécessairement constructif de voir des jeunes, sans expérience, s’occuper d’elles comme si à leur égard, il ne fallait aucune autre compétence que la bonne volonté affichée. L’appât du gain est tel que dans certains pays, acteurs locaux et internationaux ont créé de faux orphelinats, de faux stages de journalisme ou encore de faux dispensaires…
Laurence D’HONDT