Cultiver des légumes en respectant l’écologie, du champ au consommateur, c’est le pari que se sont lancé trois jeunes Brabançons pour contribuer à l’amélioration de la société de consommation actuelle. Voici leur histoire.
Lorsqu’ils étaient adolescents, Mathieu Flémal, Arthur Dewaerseggers et Victor Eylenbosch partageaient le même rêve: partir vivre en autarcie dans une ferme perdue au milieu des bois quelque part en France. Ils n’étaient fondamentalement pas contre notre société de consommation, mais ils étaient effrayés par cette course continuelle au moins cher et par cette baisse de qualité des produits qu’on utilise quotidiennement, du lave-vaisselle à la machine à café, des vêtements à la nourriture. Les publicités les révoltaient également, surtout celles diffusées à la télévision, qui essaient de faire croire en un seul modèle de société possible.
Cependant, en vieillissant et en mûrissant, les trois jeunes hommes se sont rendu compte qu’ils n’allaient pas réussir à faire avancer les choses en s’isolant et en s’extrayant de cette société. Ils ont alors ressenti l’envie de poser des actes qui auraient une valeur écologique positive. Détail important, « aujourd’hui on nous vend des voitures qui consomment moins, une agriculture avec un peu moins de pesticides… Nous ne sommes pas dans l’idée de moins dégrader l’environnement mais au contraire de l’agrader – par opposition au fait de dégrader – de plus en plus », explique Mathieu Flémal. L’idée d’en faire un métier a donc germé et les jeunes hommes, âgés de 24 à 26 ans, ont mis sur pied un business dont le but était de contribuer à améliorer l’environnement. Car, pour eux, il était essentiel de redonner sa place à la nature.
« A mon doné »
Loin des sentiers battus, alors que les jeunes de leurs âges terminaient leurs études universitaires ou en hautes écoles, les garçons ont suivi des formations en agriculture bio ou encore fait des stages chez des maraîchers. Et, au mois de septembre, ils se sont lancés dans l’aventure: le projet « A mon doné » était né. Le principe? Cultiver et revendre des légumes locaux dans le plus grand respect de la terre. Le grand-père d’Arthur étant agriculteur, il leur a mis à disposition un de ses champs d’un hectare. Le nom « A mon doné » vient d’ailleurs de là: son arrière-arrière-grand-père était le premier propriétaire de la terre, il s’appelait Dieudonné et quand ses amis venaient lui dire bonjour, ils disaient qu’ils allaient « à mon doné ».
Les apprentis agriculteurs ont mis toutes leurs économies dans le projet. Ils ont acheté deux serres et le minimum dont ils avaient besoin pour arriver à produire des légumes. Et la culture sur sol vivant a pu commencer. Leur but n’étant pas de dominer la nature et d’en extraire un maximum, mais au contraire de travailler en harmonie avec la terre et d’aller dans son sens plutôt que de la surmener. Il a d’abord fallu restaurer le sol parce que, comme l’explique Mathieu, « C’était un désert écologique quand on est arrivés. Comme une page blanche où il y a tout à dessiner dessus. Donc, on a été en France pour suivre des conférences, pour comprendre la façon de faire pour arriver à produire des légumes et, en même temps, améliorer la qualité du sol à long terme. C’est pour ça que, par exemple, on ne laboure pas, on ne travaille pas avec des outils rotatifs, comme des fraises ou ce genre d’outils, et on fait énormément à la main.«
Et, puisque sur le champ il n’y a ni électricité ni eau courante, les agriculteurs en herbe ont dû trouver des solutions adaptées. Comme ils n’avaient pas envie d’investir des sommes folles dans un forage pour aller puiser l’eau dans la nappe phréatique, ils ont décidé de récupérer les eaux de pluie, afin d’être totalement autonomes.
Le bénéfice de la terre
Une chose est sûre, aujourd’hui, Mathieu, Arthur et Victor se sentent bien quand ils ont leurs mains plongées dans la terre. Il faut dire qu’au lancement de leur projet, ils ressentaient beaucoup de stress puisqu’ils partaient d’un modèle assez expérimental. Ils se demandaient même s’ils parviendraient à faire pousser des légumes en travaillant de cette manière. Mais ils ont commencé à souffler dès qu’ils ont vu que, petit à petit, les premiers légumes apparaissaient et montraient leurs têtes. « Lorsqu’il y a un coup d’orage ou de fortes pluies, qu’on revient au champ deux jours plus tard et qu’on constate que les légumes ont doublé de taille, c’est un sentiment de réussite intense. On est contents de voir que ça pousse ».
Mais ce qui rend encore plus heureux ces garçons, c’est de voir arriver les clients, qu’ils soient satisfaits des produits achetés sur le champ et qu’ils deviennent des clients réguliers; parce que cet hiver, Mathieu, Arthur et Victor ont fait le choix de ne pas produire de légumes, dans le but d’améliorer la qualité de la terre. Au printemps, gros moment de doute, les clients allaient-ils revenir? C’était donc un réel soulagement lorsque les premiers sont venus acheter leurs épinards, leurs choux-raves ou encore leurs oignons. Surtout lorsque leurs achats sont ponctués d’un « vos légumes sont délicieux, on en redemande. A la semaine prochaine! »
« A mon doné » a donc aujourd’hui sa clientèle d’habitués. Des clients qui viennent parce qu’ils ressentent le besoin de manger sain et de connaître l’origine des produits qu’ils avalent. Mais également parce qu’ils ont le souci d’améliorer un tant soit peu le paysage et l’environnement dans lesquels ils vivent. Mathieu sourit: « On voit que ce qu’on fait a du sens pour les gens ».
Et l’oseille dans tout ça?
Comme ils ont décidé de ne pas faire de prêt, et qu’ils doivent investir tout ce qu’ils gagnent dans l’entreprise, les jeunes hommes ont tous les trois gardé un travail à mi-temps sur le côté. Et lorsqu’ils n’y travaillent pas, ils passent le reste de leur temps au champ avec l’espoir que, dès la saison prochaine, ils pourront enfin commencer à se verser un salaire. « On voit l’argent comme une forme d’énergie. Et, si on investit son argent dans une société qui fabrique des armes, alors l’énergie sert à tuer des gens. Mais nous, l’argent qu’on reçoit, c’est de l’énergie qu’on peut réinjecter dans plus de vie, plus de diversité et dans quelque chose qui a du sens pour nous. »
Pour l’avenir, les garçons ont la tête remplie de projets mais gardent les pieds sur terre. Ils veulent surtout continuer à produire des légumes, dont des anciennes variétés, en faisant eux-mêmes les plants sur leur champ pour privilégier leurs futurs goûts. Parce qu’aujourd’hui, pour la plupart des vendeurs, le goût des légumes est devenu quelque chose d’accessoire. Ils ne sélectionnent plus que des variétés qui sont résistantes aux maladies. Résultat: des légumes de plus en plus fades et insipides. « Nous, ce qui nous différencie, quitte à hypothéquer un peu nos rendements et notre chiffre d’affaires, c’est d’avoir des légumes qui ont un maximum de goût. Quand on charge la camionnette avec toutes les caisses, s’il y a du navet ou des carottes, au moins on les sent! »
Un beau projet donc, pour ces trois jeunes, qui ont compris qu’ils ne pouvaient pas changer ce qu’il ne leur plaisait pas dans notre société de consommation, mais qui, avec leurs actions positives, contribuent malgré tout à l’améliorer.
Natacha COCQ
A mon doné – Ouvert le samedi de 10 à 14h. Rue de la commune – Tourinnes-St-Lambert