
Jozef De Kesel et Henri Bartholomeeusen en débat
C’est sous cette appellation que s’est tenue, les vendredi 29 et samedi 30 janvier, à Flagey, la première édition de cette « agora citoyenne et artistique ». Organisé par l’Observatoire des religions et de la laïcité (ORELA) de l’ULB, en partenariat avec Le Soir et la RTBF, cet événement a réuni des personnalités, religieuses et laïques, pour des débats et des échanges sur ce thème.
Dès l’ouverture de ce forum, Jean-Philippe Schreiber, président de l’ORELA et co-organisateur de l’événement avec Béatrice Delvaux (Le Soir), a dressé ce constat: bien que nous vivions dans une société largement sécularisée, la religion est partout. Dans les débats, à la une des médias, tout en étant le plus souvent méconnue.
Parallèlement, la quête de sens et de spiritualité n’a jamais été aussi importante, d’où l’intérêt de réunir des penseurs, des chercheurs, des journalistes, mais aussi des artistes, pour réfléchir, sans tabou, à la place de la religion, des religions, dans notre civilisation démocratique – en particulier dans notre contexte belge. Et de fait, le pannel des invités présents était impressionnant : Mgr Jozef De Kesel (archevêque de Malines-Bruxelles), Henri Bartholomeeusen (président du centre d’action laïque), le controversé Tariq Ramadan, ou encore Hervé Hasquin, l’écrivain Jean-Claude Bologne, le chanoine Eric de Beukelaer… Sans oublier la présence d’artistes, dont le rappeur et écrivain musulman Abd-al-Malik, qui a rendu un vibrant hommage à Albert Camus, dans un spectacle d’une émouvante sobriété.
Laïcité = neutralité?
Deux jours de débats et d’échanges donc, avec au centre la religion, abordée dans le contexte d’un questionnement laïque. Si – on l’espère – les laïques présents ont pu en apprendre plus sur les religions, les débats ont également mis en lumière les différentes lectures possibles de ce qu’est la laïcité.
Pour Nadia Geerts, philosophe laïque militante, connue pour ses positions parfois tranchées, la laïcité n’est pas une philosophie, mais un principe politique, celui de la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Elle ne doit donc pas être considérée comme une conviction à côté d’autres – elle n’aurait même pas de « corpus convictionnel » – et à ce titre, elle ne devrait pas bénéficier d’un financement public, comme c’est le cas des religions. En ce sens, la laïcité serait un « agnosticisme d’Etat », qui garantit la neutralité de celui-ci. Pour Hervé Hasquin en débat avec Mme Geerts et le penseur musulman Tariq Ramadan, la laïcité peut déboucher sur une forme de dogmatisme, dont il faut se garder…
La religion: affaire purement privée?
Quant à la place de la religion dans la cité, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, les avis ne sont pas apparus si tranchés que cela, dans le contexte de ce forum. Si la religion relèverait effectivement de la sphère privée, cela ne signifie pas qu’une expression religieuse ne soit pas possible dans l’espace public. Au contraire, et même si certains le regrettent, on estime que toute religion, de par sa nature, ne peut que s’exprimer… et donc apparaître publiquement. Par contre, l’Etat doit observer une stricte neutralité convictionnelle. Raison pour laquelle, selon certains, les signes religieux devraient être interdits pour tous les agents de l’Etat.
Une place différente dans la société
Arrêtons-nous plus longuement à la rencontre qui fut, sans conteste, l’un des temps forts de ces deux journées de réflexion, à savoir le débat « au sommet » entre Jozef De Kesel et Henri Bartholomeeusen. La discussion est partie de ce constat: d’après un sondage récent, 75 % des Belges se déclarent croyants. Pour Mgr De Kesel, cela ne remet pas en question la sécularisation de notre société, et la place différente de la religion qu’elle a entraînée au sein de celle-ci. Notre monde, désormais, est pluraliste et, précise l’archevêque: « j’espère qu’il va le rester ».
Pour Henri Bertholomeeusen, la laïcité ne doit pas être considérée comme la « 7e religion » dans notre pays. Selon lui, elle est cependant davantage qu’un principe politique: elle un humanisme, qui garantit les libertés fondamentales, et le vivre-ensemble des différentes convictions. En ce qui concerne la religion, il estime qu’elle a sa place dans la cité, mais qu’elle est ambiguë dans le rapport qu’elle entretient avec sa propre tradition, et qu’elle pratique le « double langage ». Comme lorsque, selon lui, le catholicisme, tout en prônant le dialogue interreligieux, interdit l’apostasie dans le code de droit canon…
Ce à quoi Mgr De Kesel a répondu, non sans humour: « Vous me l’apprenez »… Tout en rappelant que le concile Vatican II a permis un réel tournant dans la manière dont l’Eglise aborde ses relations avec les autres religions.
Très « offensif », le président du CAL a plusieurs fois tenté de déstabiliser son interlocuteur. Cette posture, qui est une sorte de… tradition dans le chef des responsables successifs du Centre d’action laïque, lorsqu’ils sont en débat avec des responsables religieux – en particulier catholiques –, empêche le plus souvent, malheureusement, un dialogue constructif de s’installer, tout en maintenant la discussion à un niveau extrêmement superficiel. Au-delà de cet aspect, n’y a-t-il pas également une ambiguïté dans certains discours laïques, celle même qui est parfois reprochée aux religions: le fait d’entretenir la confusion entre ce qui est une convicton parmi d’autres, située dans l’espace et dans le temps, et une volonté de s’identifier à l’espace commun dans lequel les religions peuvent exister?
Christophe HERINCKX