
Chaque année, près de 20.000 motards se rassemblent à Porcaro (Bretagne) pour recevoir la bénédiction, lors du Pardon de la Madone.
Fallait-il, ou non, bénir des smartphones, lors d’une célébration récente au sanctuaire marial de Beauraing? Cette bénédiction, qui a fait le « buzz », a suscité diverses réactions, positives ou négatives. L’occasion de s’interroger sur la portée et le sens de la bénédiction pour la foi chrétienne.
Pour comprendre ce qu’est une bénédiction, il est d’abord essentiel de rappeler qu’elle trouve toujours sa source en Dieu. C’est Dieu, et lui seul, qui bénit, quelle que soit la personne qui prononce une parole de bénédiction. C’est ce qu’exprime déjà, en maintes occasions, l’Ancien Testament, qui nous donne également le sens de cette bénédiction de Dieu.
Dans le livre de la Genèse, qui raconte la création, on voit Dieu bénir les animaux et, en particulier, l’être humain qu’Il vient d’appeler à la vie: « Dieu les bénit et leur dit: ‘soyez féconds et prolifiques, remplissez la terre et dominez-là’ » (Gn. 1, 28). Dès le premier livre de la Bible, le sens de la bénédiction divine est ainsi donné. En « disant du bien » – qui est le sens du mot bénir, dans sa traduction latine –, il s’agit de faire grandir, fructifier la vie qui vient d’être donnée par Dieu.
Les autres livres bibliques qui parlent de bénédiction montrent que ce sont toujours des personnes qui sont bénies par Dieu, parfois en lien à une mission particulière, de manière individuelle ou communautaire. Dans ce dernier cas, c’est le peuple d’Israël, ou l’humanité, qui reçoit la bénédiction de Dieu. Pour les chrétiens, la bénédiction va prendre une signification « supplémentaire », celle de faire grandir la vie de Dieu lui-même en nous, la vie du Ressuscité, la vie qu’est notre communion avec le Père, le Fils et l’Esprit saint.
La bénédiction, parole divine et humaine
Dès l’Ancien Testament, on voit également que la bénédiction, qui est un acte, une parole divine agissant en l’homme pour son bien, passe par des paroles humaines. Celles-ci n’ont aucun pouvoir en elle-mêmes, elles ne sont pas des formules magiques, mais elles tirent leur efficacité du fait que Dieu veut passer par elles. Ces paroles deviennent ainsi des médiations de la bénédiction divine. A ce titre, ce verset du Livre des Nombres est particulièrement éloquent: « Le Seigneur dit à Moïse: ‘Parle à Aaron et à ses fils et dis-leur: voici en quels termes vous bénirez les fils d’Israël: que le Seigneur te bénisse et te garde. Que le Seigneur fasse rayonner sur toi son regard et te donne la paix. Ils apposeront ainsi mon nom sur les fils d’Israël, et moi, je les bénirai’ » (Nb. 6, 22-27).
Dans ce beau texte, on comprend qu’Aaron, et ses fils après lui (qui sont aux origines de ce qui deviendra la caste des prêtres et du culte du temple en Israël) reçoivent un mandat de la part de Dieu, celui d’appeler la bénédiction de Dieu sur son peuple. Lorsque ces paroles humaines seront prononcées, Dieu rendra sa bénédiction effective.
Un autre aspect, également présent dès l’Ancien Testament, doit être évoqué. En réponse à la bénédiction de Dieu, l’homme est appelé à bénir Dieu à son tour. Dans ce cas, la bénédiction s’apparente à la louange et à l’action de grâce: on remercie Dieu pour la vie qu’il nous donne par amour, on lui donne notre vie en réponse à cet amour, et on le célèbre pour ce qu’Il est. « Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël, de toujours à toujours. Amen! Amen! » (Psaume 41, vs. 14).
Sacrements et sacramentaux
En régime chrétien, certaines paroles, associées à certains gestes, revêtent la même efficacité spirituelle. C’est le cas, en particulier, pour les sept sacrements de l’Eglise. Lorsque le prêtre prononce les paroles du baptême, ou celles de la consécration de l’eucharistie, nous croyons, de par la promesse de Dieu et l’action de l’Esprit saint, que la personne baptisée est réellement plongée dans le mystère pascal du Christ, que le pain et le vin deviennent réellement la présence du Christ mort et ressuscité pour nous. Ces paroles sacramentelles peuvent être considérées comme des bénédictions.
Il en va de même pour ce que l’on appelle les sacramentaux, qui n’ont pas la même portée que les sacrements, mais qui contiennent aussi des paroles de bénédiction, qui aident le croyant dans sa vie spirituelle, qui font grandir la vie de Dieu en lui. Tel est le sens de toute bénédiction que nous pouvons recevoir, par la médiation de la parole d’un ministre ordonné, voire d’un laïc, selon les cas.
Bénir les personnes, pas les objets
Nous en revenons ainsi à la question de départ: est-il légitime, ou non, de bénir un objet tel qu’un smartphone, une tablette, une moto, ou un objet de piété, tel un chapelet ou une croix, ou encore un lieu? Le « Livre des bénédictions », qui contient les différentes bénédictions que l’on peut pratiquer dans l’Eglise, est divisé en trois parties: les bénédictions des personnes, celles concernant les activités humaines, et les bénédictions d’objets de culte. La bénédiction d’une voiture, d’une première pierre ou d’une nouvelle biblothèque, par exemple, sont reprises dans les activités humaines que l’on peut bénir.
La manière dont ce livre « officiel » répartit les différents types de bénédictions, ainsi que les prières de bénédictions qu’elles contiennent, suffisent déjà à nous enseigner trois choses.
Premièrement, seules les personnes peuvent être bénies. Deuxièmement, aucun aspect de notre vie n’échappe à la bénédiction de Dieu, qui nous rejoint, et plus encore nous inspire, dans tout ce que nous faisons de bon. Mais, dans ce cas également, et c’est le troisième enseignement, ce sont les personnes qui sont bénies, et non les objets qu’elles utilisent dans leurs activités.
Qu’il s’agisse d’un smatphone ou d’un chapelet. C’est la personne qui est bénie, dans son utilisation de son GSM ou de sa moto, en tant qu’elle les utilise, et non le GSM et la moto eux-mêmes. Et ce, même si le Livre des bénédictions parle, dans son intitulé, de bénédiction d’objets de culte, ce qui peut prêter à confusion. Car, même pour la « bénédiction d’un chapelet », l’une des prières proposées dit ceci: « Daigne bénir tous ceux qui prendront en main ces chapelets, en priant de bouche et de cœur la mère de ton Fils… »
Bref, on peut bénir une personne qui utilise un smartphone, pour que cette utilisation la fasse grandir dans le bien et la vie de Dieu, mais non pas le smartphone lui-même. Suggérer le contraire revient à introduire une dangereuse ambiguïté concernant la bénédiction, qui peut alors être comprise en un sens magique. S’il convient de rejoindre les gens là où ils en sont, y compris dans leur piété populaire, il convient tout autant de ne pas entretenir certaines confusions, et d’expliquer le sens de ce que l’on fait. Nous ne nous prononçons évidemment pas sur la manière dont la bénédiction a été célébrée à Beauraing le 27 septembre dernier: peut-être les ministres présents ont-ils effectivement présenté les choses aux participants avec toute la pédagogie requise. Mais Entendre dire quelqu’un après la célébration: « Maintenant, mon smartphone est protégé », ne va sans doute pas dans le bon sens…
Christophe HERINCKX
(Fondation Saint-Paul)