"Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux!"
En ce temps-là, voyant les foules, Jésus gravit la montagne. Il s’assit, et ses disciples s’approchèrent de lui. Alors, ouvrant la bouche, il les enseignait. Il disait: "Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux. Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés. Heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage. Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés. Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde. Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu. Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu. Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des Cieux est à eux. Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux!"
Textes liturgiques © AELF, Paris.
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Le don des larmes
Commençons par ce qui risque de nous choquer: "Heureux ceux qui pleurent". Qui d’entre nous oserait dire une chose pareille devant quelqu’un qui pleure? Et souvenons-nous que Jésus a passé une grande partie de son temps à consoler, guérir, encourager les hommes et les femmes qu’il rencontrait. Si Jésus a consacré du temps à guérir ses contemporains, cela veut dire que toute souffrance et en particulier la maladie et l’infirmité sont à combattre. Il ne faut donc certainement pas lire "Heureux ceux qui pleurent, ils seront consolés" comme si c’était une chance de pleurer! Ceux qui, aujourd’hui pleurent de douleur ou de chagrin ne peuvent pas considérer cela comme un bonheur!
Tout d’abord, il faut s’entendre sur le mot "heureux": les auditeurs de Jésus le connaissaient bien car il était très habituel dans l’Ancien Testament. Contrairement à ce que nous imaginons, ce n’est pas un constat de bonheur du genre "tu en as de la chance!", c’est un encouragement à tenir bon. André Chouraqui le traduisait "En marche": sous-entendu, "Tu es bien parti. Tu es bien en marche vers le royaume." On peut l’entendre aussi comme "Tiens bon, garde le cap". Adressée à des gens qui pleurent, cela voudrait dire: "Ne vous laissez pas décourager, ne changez pas de ligne de vie pour autant."
Ensuite, sans parler des larmes de bonheur, évidemment, il y a des larmes qui sont bénéfiques: celles du repentir de saint Pierre, par exemple, dont parle le pape Benoît XVI dans son livre sur Jésus. C’est là que l’on fait l’expérience de la miséricorde de Dieu. Il y a également celles que nous versons lorsque nous nous laissons toucher par la souffrance ou le chagrin des autres. Dans ces cas-là, nous sommes sur le bon chemin, nos cœurs de pierre sont en train de devenir des cœurs de chair, pour reprendre l’expression du prophète Ezéchiel. On pourrait dire la même chose lorsque nous pleurons devant la cruauté de certains, devant ce que j’appellerais la dureté du monde.
Enfin, il y a là très certainement, de la part de Jésus l’annonce que le temps du Messie est venu, le temps où s’instaurera le bonheur promis à l’humanité.
Je reviens à la première béatitude: "Heureux les pauvres de cœur, le Royaume des cieux est à eux". Il me semble que cette béatitude-là contient toutes les autres, qu’elle est le secret de toutes les autres. Evidemment, ce n’est pas une idéalisation de la pauvreté matérielle: la Bible présente toujours la pauvreté comme un mal à combattre; mais d’abord, il faut bien dire que ce n’étaient pas les gens socialement influents, importants qui formaient le gros des foules qui suivaient Jésus! On lui a assez reproché de frayer avec n’importe qui!
Deuxièmement, le mot "pauvres" dans l’Ancien Testament n’a pas toujours un rapport avec le compte en banque: les "pauvres" au sens biblique (les "anavim") ce sont ceux qui n’ont pas le cœur fier ou le regard hautain, comme dit un psaume; on les appelle "les dos courbés": ce sont les petits, les humbles du pays, dans le langage prophétique. Ils ne sont pas repus, satisfaits, contents d’eux, il leur manque quelque chose. Alors Dieu pourra les combler. Nous retrouvons ici sous la plume de Matthieu un écho de la parabole du pharisien et du publicain: le pharisien pourtant extrêmement vertueux ne pouvait plus accueillir le salut de Dieu parce que son cœur était plein de lui-même; le publicain, notoirement pécheur, se tournait vers Dieu et attendait de lui son salut, il était comblé.
Heureux les pauvres, les richesses de Dieu sont à vous
La qualité dont il s’agit ici, c’est "l’esprit de pauvreté", c’est-à-dire la qualité de "celui qui a pour refuge le nom du Seigneur", comme le dit Sophonie, celui qui a besoin de Dieu, celui qui reçoit tout de Dieu comme un cadeau: celui qui prie humblement "Kyrie eleison", Seigneur prends pitié. Et qui attend de Dieu et de lui seul tout ce dont il est question dans les autres Béatitudes: être capable de miséricorde, c’est-à-dire de pardon et de compassion, être artisan de paix, être doux, ou non-violent, être affamé et assoiffé de justice; car tout cela est cadeau; et nous ne pouvons mettre véritablement ces talents au service du Royaume que quand nous les recevons dans cet esprit. Au fond, la première Béatitude, c’est celle qui nous permet de recevoir toutes les autres. Heureux, les pauvres: mettez votre confiance en Dieu: Il vous comblera de ses richesses… SES richesses… "Heureux"… cela veut dire "bientôt on vous enviera"!
Tous ceux qui attendent tout de Dieu, comme le publicain, sont assurés que leur recherche sera exaucée parce que Dieu ne se dérobe pas à celui qui cherche: "Qui cherche trouve, à qui frappe, on ouvrira", dira Jésus un peu plus loin dans ce même discours sur la montagne. Ceux qui cherchent Dieu de tout leur cœur, ce sont ceux-là que les prophètes appellent également les "purs" au sens d’un cœur sans mélange, qui ne cherche que Dieu.
Alors, effectivement, ces béatitudes sont, comme leur nom l’indique, des bonnes nouvelles; quelques lignes avant cet évangile des Béatitudes, Matthieu disait: "Jésus proclamait la bonne nouvelle du royaume". La bonne nouvelle c’est que le regard de Dieu n’est pas celui des hommes (cela encore c’est une prédication habituelle des prophètes). Les hommes recherchent le bonheur dans l’avoir, le pouvoir, le savoir. Mais ceux qui cherchent Dieu savent que ce n’est pas de ce côté-là qu’il faut chercher. Dieu se révèle aux doux, aux miséricordieux, aux pacifiques. "Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups", disait Jésus à ses disciples.
De cette manière, Jésus nous apprend à poser sur les autres et sur nous-mêmes un autre regard. Il nous fait regarder toutes choses avec les yeux de Dieu lui-même et il nous apprend à nous émerveiller: il nous dit la présence du Royaume là où nous ne l’attendions pas: la pauvreté du cœur, la douceur, les larmes, la faim et la soif de justice, la persécution… Cette découverte humainement si paradoxale doit nous conduire à une immense action de grâces: notre faiblesse devient la matière première du Règne de Dieu.
Autre bonne nouvelle: de cela nous sommes tous capables!
Marie-Noëlle Thabut
(L'intelligence des Ecritures – Ed. Artège)