A la recherche de nos points communs et sacrés


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A la recherche de nos points communs et sacrés
Par La rédaction
Publié le - Modifié le
6 min

N.-CantagalliDepuis quarante ans, Natascia Cantagalli emboîte le pas du mouvement international de La Nouvelle Acropole. Aujourd’hui, chargée de cours au sein du mouvement, elle nous livre son point de vue à propos du phénomène raciste.

Peut-on dire que la société est raciste et pourquoi?

Le racisme c’est fondamentalement la peur de l’autre qui engendre l’exclusion. Toutes les différences font peur parce qu’on se fixe uniquement sur ce qui est extérieur (couleur de peau, forme de culte, pratique de vie...). Si je m’intéresse à ce qui est fondamental pour une personne, sur l’amour des siens, l’amour du juste et du bien, le besoin de respect et de dignité, l’expression du courage, de la volonté, de l’harmonie, de la beauté… les différences extérieures cesseront d’être une source d’opposition. Cela demande de faire un travail interne, de dégager ce qui, en soi, est semblable à l’Autre. La recherche du "commun" permet d’apaiser et d’éliminer le racisme mais cela prend du temps. C’est un travail d’éducation en profondeur et si on ne travaille pas là-dessus, on va continuer à construire des murs comme on est en train de le faire pour essayer d’endiguer cette marée humaine désespérée qui déferle sur l’Europe.

Le changement de mentalités est fondamental. L’école et l’éducation parentale ont-elles dès lors un rôle à jouer pour éliminer le racisme?

Je reviens sur un point essentiel: l’individu et la prise de conscience des éléments nécessaires à notre développement interne. Platon disait que chaque individu est une république à lui seul. Il y a toute une organisation d’idées, de sentiments, d’actions à mettre en place. Quand on étudie l’Histoire et les changements qui se sont opérés dans le temps, on remarque que c’est un travail de longue haleine. Il faut compter 2 à 3 siècles pour que les idées se concrétisent en changements effectifs. C’est évidemment dans le giron familial et à l’école que cela commence. Platon se posait déjà la question: qui éduque les parents et les éducateurs à la fonction primordiale d’éduquer? Ne sommes-nous pas tous issus de la société telle qu’elle est aujourd’hui? Une influence indéniable nous vient des médias et du monde politique. On nous colle une série de besoins via l’image, on ne sait plus jusqu’où aller dans la consommation. Beaucoup sont désorientés et ont perdu les notions de valeurs et de cadre nécessaires pour donner un enseignement. Et j’admire le corps professoral aujourd’hui qui essaye d’éduquer au mieux les jeunes dans ce contexte. Il est important de s’éduquer soi-même, voire d’être éduqué pour pouvoir transmettre à notre tour et savoir quel avenir nous voulons construire.

Les différences de religion sont sources de conflits. Pourtant, chacune prône le respect d’autrui, l’amour pour son prochain… Comment en est-on arrivé là?

Certains hommes de religion sont eux-mêmes influencés par le radicalisme dans la pensée d’aujourd’hui, sur ce qui est bien et ce qui est mal, et la peur de la différence. A partir du moment où l’Autre n’est pas comme moi, il est un danger, donc je le rejette et je tombe ainsi dans un radicalisme extrême où "moi j’ai raison, lui il se trompe". C’est du dogmatisme, la racine commune aux conflits religieux (entre autres) de tous les temps. A partir du moment où on a commencé à diaboliser les religions des autres, des chefs extrémistes en tous genres sont apparus. On a voulu les détruire par la force. Ce qui n’a fait que radicaliser le phénomène et engendrer une mentalité moyenâgeuse.

Nous avons mené une expérience très touchante dans un de nos centres en Israël. On a invité un groupe de femmes musulmanes et un groupe de femmes juives. Au départ, les deux groupes se sont polarisés, sans vouloir communiquer. La personne qui voulait créer le dialogue a commencé à toucher le cœur de ces femmes qui avaient toute perdu un mari, un fils, une sœur… dans le combat. Le constat: la souffrance est la même, la perte est la même dans chaque camp. Après 8 heures d’échanges, ces femmes sont finalement tombées dans les bras l’une de l’autre. A ce moment-là, les formes extérieures n’ont plus de raison d’être. On entre dans la bonté, l’amour, le respect de l’autre, la rencontre de ce qui est essentiel. On n’est plus dans un discours polarisé extrémiste, mais confronté aux mêmes réalités de vie. Le dialogue est donc possible et c’est vraiment cela qu’il faut favoriser.

Les cultures et les formes de culte sont parfois très différentes. Que dire à celui qui ne croit plus aux valeurs universelles?

A moins d’avoir été très abîmé par la vie, je pense que tout homme peut se rendre compte qu’il a en lui des choses sacrées si on touche son cœur. Chacun de nous a un souvenir ou un objet qui a un caractère sacré, qui porte une valeur autre que sa valeur marchande. On entre alors dans le domaine des valeurs invisibles, mais essentielles. Je ne peux créer chez l’autre le besoin de Dieu, je ne peux créer chez l’autre le besoin de spiritualité et de valeurs. Par contre, je peux établir un dialogue et peut-être éveiller quelque chose via cet objet sacré. A ce moment-là, on peut faire un bout de chemin ensemble. Vous allez m’apporter une vision des choses, je vais vous en apporter une autre et on s’enrichit ainsi mutuellement. On reçoit des choses de la vie, des autres, de lectures ou d’expériences personnelles; ensuite, il faut progresser, s’améliorer. Et il faut s’éduquer soi-même, "se former", c’est-à-dire donner une forme à tout cela. Cette forme est cet ensemble de valeurs qui va être l’épine dorsale de notre existence. C’est ce que nous appelons "philosophie à vivre", qui demande un écolage, un apprentissage.

Qui dit racisme dit aussi liberté d’expression. Le débat revient toujours sur le devant de la scène, comment l’abordez-vous?

Je rejoindrai Simone Weil, philosophe française du siècle dernier, qui a dit que la liberté avait pour corollaire le sens du devoir et des responsabilités. La liberté s’exerce dans un cadre, avec un arrière-plan de valeurs. Je ne peux pas faire ce que je veux n’importe comment au nom de la liberté. La liberté est une valeur précieuse qui doit permettre à l’homme d’exprimer ce qu’il a de plus profond et de meilleur dans un sens constructif. Il y a des règles et des lois qui régissent la vie entre les hommes, la vie avec la nature et la vie avec le divin. Ce sont les trois sphères - humaine-culturelle, naturelle et spirituelle - dans lesquelles l’homme peut s’exprimer. La liberté implique le sens des responsabilités, de la dignité et du respect qui sont des lois d’ordre et d’harmonie qui gèrent tout l’univers. La liberté s’exerce dans le respect de certaines lois dont il faut avoir conscience.

Peut-on encore espérer, dans un futur proche, vivre dans une société sans racisme?

Il faut l’espérer et il faut que chacun travaille là où il peut pour améliorer les choses. Chacun peut faire un pas, dans son domaine, dans sa propre vie. On a la possibilité aujourd’hui d’avoir accès à beaucoup de sources, d’enseignements, de formations, d’échanges valables. Et il y a beaucoup de gens valables dans notre société. On peut favoriser la rencontre avec l’autre, le dialogue profond. Si cette espérance est nourrie par l’action, la pratique, le travail sur soi-même, et si - au lieu de râler ou de critiquer- on essayait de voir le meilleur chez l’autre, on peut apporter un meilleur dans notre cercle de vie. Peu importe la taille du cercle: si chacun a la nécessité de développer son meilleur et de donner son meilleur, on pourra déjà faire progresser pas mal de choses. Je crois en cela, profondément, et cela fait bientôt 40 ans que cette philosophie de vie anime ma démarche et celle de milliers de personnes dans le monde.

Propos recueillis par S. T.

Plus d’infos sur www.philo-contre-racisme.be.

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