En visite à Turin, François ne mâche pas ses mots !


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En visite à Turin, François ne mâche pas ses mots !
Par Jean-Jacques Durré
Publié le - Modifié le
8 min

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Le premier temps fort de sa visite à Turin a été la rencontre avec le monde du travail. Un rendez-vous avec plusieurs milliers de personnes réunies sur la Piazza Reale, en plein cœur de la capitale piémontaise. Plusieurs témoignages ont été lus, que le souverain pontife a écoutés avec une grande attention, comme celui d'une ouvrière au chômage partiel dont le mari est sans emploi. Lors de son discours, le pape a salué les ouvriers, entrepreneurs et familles présents et exprimé sa proximité en particulier aux jeunes au chômage, aux personnes précaires et à tous ceux dont les conditions de travail sont difficiles. «Le travail est nécessaire non seulement pour l'économie, mais pour la personne humaine», a souligné François, «pour sa dignité, pour sa citoyenneté et aussi pour l'insertion sociale.»

«Turin est historiquement un pôle d'attractivité», a poursuivi le Saint-Père, «mais qui ressent aujourd'hui fortement la crise: le travail manque, les inégalités économiques et sociales ont augmenté, et tant de personnes se sont appauvries, ont des problèmes de logement, de santé, d'accès à l'éducation. L'immigration augmente la compétition, mais les migrants ne peuvent être blâmés», a t-il précisé, «parce qu'ils sont victimes de l'iniquité, de cette économie qui gaspille et des guerres. Le spectacle de ces derniers jours fait pleurer, où l'on a vu des êtres humains traités comme des marchandises!»

Un modèle économique basé sur le bien commun

«Nous sommes donc appelés une nouvelle fois à redire 'non' à une économie du déchet, 'non' à l'idéologie de l'argent qui pousse à rentrer à tout prix dans la logique de ceux qui s'enrichissent au détriment de ceux qui s'appauvrissent, dire 'non' aussi à la corruption tellement diffuse qu'elle semble être devenue un comportement normal», a poursuivi le pape, qui a estimé que dans ce contexte, il ne faut pas trop attendre de la "reprise" annoncée avec insistance par les économistes. «Plutôt que d'attendre cette hypothétique reprise, il est nécessaire que toute la société collabore pour qu'il y ait un travail digne pour chaque homme et femme, mais cela exige un modèle économique qui ne soit pas organisé en fonction du capital et de la production, mais basé sur le bien commun.» Le pape a également souligné que les femmes étaient encore trop souvent discriminées au travail, et invité à investir avec courage dans la formation en cherchant à inverser la spirale de l'échec pour des jeunes et des enfants qui abandonnent l'école.

Après sa rencontre avec le monde du travail, le pape François s'est rendu dans la cathédrale de Turin, le Duomo, où il s'est recueilli quelques minutes devant le Saint-Suaire exposé dans l'obscurité, avant de se rendre en papamobile sur la place Vittorio pour célébrer la messe en plein-air. Devant une place noire de monde, le Saint-Père a présidé la célébration eucharistique, concélébrée par Mgr Cesare Nosiglia, archevêque de Turin et le cardinal Severino Poletto, l'archevêque émérite de la ville.

Au cours de son homélie, le pape est revenu sur l'amour fidèle de Dieu évoqué dans les lectures du jour. «Jésus nous aime pour toujours, sans limite et sans mesure. La fidélité de Jésus ne faiblit jamais devant notre infidélité», a dit le Souverain pontife. «L'amour de Dieu recrée tout, a poursuivi François en développant une deuxième caractéristique de cet amour, il fait toute chose nouvelle.» «Reconnaître nos propres faiblesses et limites ouvre la porte au pardon de Jésus.» L'amour de Dieu est stable et sûr, a enfin souligné le pape, Jésus le manifeste dans le miracle de l'Evangile de Matthieu, où il calme la tempête et rassure ses disciples.

Ne pas se laisser paralyser par la peur

Aujourd'hui, a expliqué François, nous pouvons nous demander si nous reposons sur ce roc qu'est l'amour de Dieu. Il y a toujours ce risque d'oublier l'amour que Dieu nous a montré. «Nous aussi, chrétiens, a t-il lancé, nous courons le risque de nous laisser paralyser par nos peurs de l'avenir, de chercher des sécurités dans des choses qui passent, dans un modèle de société fermée qui tend à exclure plutôt qu'à inclure. Mais nous aussi pouvons, comme tant de Saints, vivre et partager la joie de l'Evangile avec miséricorde, spécialement les plus fragiles et ceux qui sont marqués par la crise économique.» Le pape a ainsi fait une nouvelle allusion aux familles: «les familles ont besoin de sentir la caresse maternelle de l'Eglise» pour aller de l'avant.

Une étape qui ne pouvait pas manquer au programme de la visite du Pape François à Turin: le Cottolengo, la Petite Maison de la Divine Miséricorde, à la fois monastère, hôpital et asile, fondé au 19e siècle par le «Saint Vincent de Paul italien», Joseph-Benoît Cottolengo. Il s’agit une institution atypique destinée à accueillir tous les malades pauvres, quelle que soit leur pathologie, surtout certains handicapés qui, à l’époque du Père Cottolengo, étaient refusés par les hôpitaux, comme les épileptiques, les malades mentaux et les sourds-muets.

Pour animer son institution qui a essaimé à travers le monde, Joseph Cottolengo a fondé une congrégation de religieuses et un institut de frères, prêtres et laïcs. Le Saint-Père s’est rendu, dimanche après-midi, dans ce lieu de charité pour y rencontrer des malades et des handicapés. L’occasion pour lui de relever que l’exclusion des pauvres existe encore aujourd’hui. «La médecine a fait des progrès mais la culture du déchet a provoqué une crise anthropologique: ce n’est plus l’homme qui est au centre des actions mais la consommation et les intérêts économiques», a-t-il répété, dans un ton proche de celui employé dans son encyclique Laudato Si' publiée jeudi dernier.

Parmi les personnes délaissées, le pape François a cité les personnes âgées. «Elles sont la mémoire et la sagesse des peuples; et pourtant leur longévité n’est pas toujours perçue comme un don de Dieu, mais au contraire comme un poids difficile à supporter.» Le Souverain Pontife invite donc à «développer des anticorps» contre cette mentalité qui fait tant de mal à la société. «Il s’agit d’un péché, a-t-il martelé, d’un grave péché social».

Le pape François a rendu un hommage appuyé au père Cottolengo, à son amour évangélique concret.

Rencontre la famille salésienne

Faut-il préciser que la visite du pape François à Turin a été organisée aussi pour célébrer le bicentenaire de Saint Jean Bosco, grande figure du catholicisme italien et du Piémont, apôtre des jeunes qui s'est consacré à l'éducation des enfants défavorisés, et qui a fondé la grande famille des Salésiens. Après avoir déjeuné avec des jeunes détenus, des immigrés, des SDF et une famille Rom, et avoir brièvement visité le sanctuaire de la Consolata, lié au culte de la Vierge dans le vieux Turin, le Saint-Père s’est rendu, dimanche en début d’après-midi, à la basilique Sainte-Marie-Auxiliatrice, construite selon la volonté de Don Bosco près de la maison pour les enfants pauvres qu’il avait fondée et qui abrite ses restes. Le pape François a été accueilli par les jeunes éducateurs et animateurs, par le recteur majeur des salésiens, le père Artime et par la supérieure générale des Filles de Marie Auxiliatrice, sœur Yvonne Reungoat.

Le Saint-Père avait préparé un discours, mais comme il l'a souvent fait, il a laissé ses notes pour improviser. François est revenu en particulier sur la figure de Don Bosco, au charisme toujours très fort. «Don Bosco a risqué son ministère, en allant vers ces jeunes abandonnés, livrés à eux-mêmes. Aujourd’hui, 40% des jeunes Italiens sont sans travail, a rappelé François, et vous, Salésiens, avez le même défi que Don Bosco.» Le pape a expliqué que le charisme de Don Bosco était aujourd'hui d'une très grande actualité.

François invite la jeunesse à vivre pleinement, à contre-courant

L’enthousiasme et l’émotion étaient encore au rendez-vous, dimanche soir à Turin, lors de la rencontre du pape François avec les jeunes. Le Saint-Père est descendu de la tribune pour saluer des enfants et des handicapés qui lui ont offert des bracelets colorés et des dessins. Ils étaient quelque 90.000 sur la Piazza Vittoria, la plus grande d’Europe, où le pape François avait déjà rencontré le monde du travail dans la matinée.

Dans un discours improvisé, plusieurs fois interrompu par les applaudissements, il a condamné une fois encore l’hypocrisie de ceux qui parlent de paix et qui fabriquent ou vendent des armes. Citant des exemples dramatiques, il a appelé les jeunes à «vivre pleinement plutôt que de vivoter, comme ces jeunes qui vivent comme des végétaux, qui vont à la retraite à 20 ans.» Le pape s'est fait le porte-voix des questions de la jeunesse sur les erreurs de leurs aînés, notamment dans certaines situations historiques. «Pourquoi les alliés n’ont-ils pas bombardé les lignes de chemin de fer qui conduisaient aux camps où on tuait les juifs, les homosexuels et les roms? Et pourtant ils avaient des preuves. Pourquoi les grandes puissances n’ont-elles pas arrêté le massacre des Arméniens, plus d’un million de personnes», s’est interrogé le Souverain Pontife en dialoguant avec les jeunes. «Et les chrétiens tués par Staline alors que les grandes puissances se partageaient l’Europe comme un gâteau?»

«Aujourd’hui, nous vivons une guerre mondiale par morceaux, et il y a des jeunes désespérés qui sont tentés par le terrorisme», a-t-il rappelé avec tristesse. François comprend la défiance et le découragement des jeunes à l’égard du monde contemporain. Le Saint-Père a par ailleurs demandé aux jeunes de «faire l’effort de vivre de manière chaste, même si c’est une parole impopulaire dans un monde hédoniste, où la publicité vante le plaisir. Mais l’amour est un service et il ne faut pas profiter de son partenaire. Il faut avoir le courage d’aller à contre-courant.» Le pape ne veut pas «passer pour un moraliste mais il doit dire la vérité, que ce que l’on essaye de nous vendre est du verre et pas des diamants.» Le pape a enfin exhorté les jeunes à ne pas être naïfs, mais courageux et créatifs, à sortir, à ne jamais s’arrêter et à aller toujours de l’avant.

Avec Radio Vatican

© Photo : CTV

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