Moins de deux mois après le voyage du pape François en Terre Sainte, Israël et la Palestine sont à nouveau la proie de violences. Avec le risque d’un embrasement complet de la région. Comment éviter l’escalade? La paix est-elle encore possible entre les deux camps?
Le 30 juin, les corps sans vie de trois jeunes Israéliens étaient retrouvés, près de trois semaines après leur enlèvement. Le 2 juillet, le corps brûlé d’un jeune Palestinien était découvert quelques heures après sa disparition. Dans le premier cas, les suspects n’ont pas encore été retrouvés. Dans le second, six jeunes Israéliens ont été arrêtés, dont trois auraient avoué leur participation au crime. Leur geste s’assimile à une expédition punitive. Depuis quelques jours, l’escalade est de mise entre les deux camps. Tirs de roquettes depuis la bande de Gaza auxquels répondent des attaques aériennes de l’armée israélienne.
Il est évident que ces meurtres gratuits sont la concrétisation, hélas, d’une politique de discrimination, engendrée par une culture de la peur. Depuis sa création, Israël a cultivé une politique de défense, basée sur le fait qu’il était entouré, à ses yeux, d’ennemis. Ces assassinats des jeunes ont mis brutalement en lumière le potentiel de violences qui s’accumule entre Israéliens et Palestiniens, ainsi que les fractures qui traversent le pays lui-même. Les Arabes israéliens se sentent discriminés malgré leur statut de citoyen. Et que dire des Arabes palestiniens?
Une discrimination lourde de conséquences
Mus par cette crainte, au demeurant légitime à l’époque, de se défendre des pays voisins, les différents gouvernements israéliens ont malheureusement mené une politique de discrimination, non seulement à l’égard des Palestiniens chassés de leur territoire, mais aussi vis-à-vis de ceux qui ont choisi de rester dans le jeune état. Il faut savoir que les Arabes palestiniens forment 1% de la population israélienne mais que la population arabe israélienne compte 1,4 million d’habitants, soit 18% de la population israélienne. Une minorité qui descend des quelque 160.000 Palestiniens restés sur leur terre après la création de l’Etat d’Israël en 1948. Environ 40% vivent dans des villes du nord du pays à forte majorité arabe, 24% dans des villes à majorité juive, essentiellement Jérusalem, Haïfa, Tel-Aviv et Ramallah.
Si les Arabes israéliens se disent discriminés dans leur vie quotidienne, on ne peut pas leur donner tort. En février dernier, le ministre israélien des finances, Yair Lapid, le reconnaissait en pointant du doigt le manque de transports en commun vers les villages arabes, ainsi que le déséquilibre dans les investissements éducatifs. « Historiquement, les gouvernements israéliens ont fait très peu pour améliorer le statut économique des Arabes et parfois, ils lui ont même nui. Ce n’est pas seulement injuste, c’est aussi stupide en termes de développement économique », expliquait-il.
Autre aspect important qui exacerbe les tensions: la politique de colonisation du gouvernement Netanyahou. Il y a peu, l’ancien président de la Knesset Avraham Burg, publiait dans un quotidien israélien, une tribune polémique dans laquelle il expliquait que ces enlèvements étaient le résultat de « la prise en otage de la société palestinienne par la colonisation israélienne », regrettant qu’Israël soit « incapable de comprendre la souffrance d’une société tout entière, son cri et le futur d’une nation entière que nous avons kidnappée. » Le dernier rapport de la Cimade (association œcuménique de service active aux migrants et aux réfugiés) daté du 3 juillet pointe, lui aussi du doigt, les effets dévastateurs de la colonisation.
Espoirs de paix mis à mal
Lors de son voyage en Terre sainte, en mai dernier, le pape François a plaidé pour la mise en place d’une solution de deux états, vivant côte à côte. Il a eu, comme à son habitude, des gestes forts et des paroles fermes sur le droit à chacun de vivre en paix. Et puis, François a invité les présidents israélien et palestinien à prier pour la paix à Rome. Pas négocier, prier!
Mais, cela est mis à mal aujourd’hui par le climat de tension, qui menace de dégénérer et qui est entretenu par les extrémistes des deux camps. Pour eux, il s’agit d’exprimer leur haine de l’autre. Des deux côtés, des organisations minoritaires très actives assurent que la solution réside dans l’expulsion, la domination, voire l’anéantissement du peuple ennemi.
Il importe donc que les dirigeants des deux nations fassent preuve de courage, pour éviter que la situation ne dégénère davantage. Le Patriarche latin de Jérusalem, S.B. Fouad Twal déclarait il y a quelques jours : « Il n’est pas digne pour des chefs politiques et religieux d’appuyer, d’alimenter, de fomenter la vengeance. La vengeance appelle la vengeance, le sang appelle le sang et les jeunes innocents tués, tous les jeunes tués, sont autant de victimes sacrifiées sur l’autel diabolique de la haine. Prions pour les parents et les familles de tous ces jeunes sacrifiés, enlevés et tués ». Il a rappelé que la visite du pape François en Terre Sainte et la rencontre de prière au Vatican avaient alimenté de nombreux espoirs de paix. « Maintenant, avec le sacrifice de jeunes innocents, le cycle de la violence dans lequel nous vivons voudra réaffirmer sa domination avec une férocité encore plus grande. Cela ressemble presque à une réaction faite pour suffoquer les espoirs qui s’étaient levés », a-t-il poursuivi.
L’impérieuse nécessité de tendre la main
Face aux risques que font peser les organisations ultranationalistes ou ultrareligieuses, les modérés des deux camps doivent donc se réveiller et chercher à nouveau un terrain d’entente. De même, les pays occidentaux doivent contribuer, non pas à soutenir un camp contre l’autre, mais à promouvoir la mise en place d’un destin commun, dans un respect mutuel, afin qu’Israéliens et Palestiniens puissent espérer vivre un jour en paix. C’est ce qu’a fait le pape François, en invitant les dirigeants à prier. Il y a eu le geste fort d’Anouar El Sadate, qui lui a coûté la vie, les accords de camp David,… il faut que le processus de paix reprennent au plus vite.
Si l’on peut se réjouir modestement que Benyamin Netanyahou et le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas ont condamné, chacun de leur côté, les assassinats commis contre les quatre jeunes victimes, c’est parce qu’ainsi, ils ont montré que le prix de la vie ne tenait pas à la religion ou à la nationalité. Aujourd’hui, ils doivent aller plus loin et oser la main tendue pour une discussion franche.
Comme le souligne le Patriarche de Jérusalem, « il faut continuer à prier afin de demander le miracle de la paix en reconnaissant que la haine et la rancœur font mal à tous alors que la paix et le pardon font du bien à tous ». Et de conclure: « Il faut se libérer de la logique perverse de ceux qui font des discriminations entre victimes innocentes d’une part et d’autres croient que leur douleur pourra être allégée par la douleur des autres. Seul le pardon appelle le pardon ».
C’est pour cette raison que l’on peut affirmer que le voyage du pape en Terre Sainte n’a pas été inutile. Il a contribué à retisser des liens, certes aujourd’hui fragiles, mais pas brisés!
J.J.D.