La Commission Justice et Paix francophone de Belgique, associée à d’autres organisations telles que le Réseau wallon de lutte contre la pauvreté et la Conférence européenne des Commissions Justice et Paix, s’interroge sur la situation des jeunes sans emploi en Belgique et en Europe.
Interpelée par les propos du pape François appelant les 20.000 jeunes venus l’écouter début juillet à aller à l’encontre de la « culture du provisoire » et à oser « écouter leurs aspirations (…) pour des choses belles et grandes dans leur vie », la Commission Justice et Paix francophone de Belgique se place aux côtés des jeunes pour les aider à relever non seulement un défi individuel, que des milliers d’entre eux doivent affronter au quotidien, mais aussi (et surtout!) un défi collectif qui intéresse l’ensemble de la société.
L’analyse faite par Justice et Paix se veut une réflexion sur une situation, aggravée par la crise économique et financière, à laquelle il faut répondre par la mise en place de politiques à long terme qui soient inclusives et originales.
Drame social
A la fin de l’année 2013, dans une note intitulée « Triste Noël pour 120.000 jeunes chômeurs », l’économiste et homme politique belge, Philippe De Feyt, démontre que le chômage des jeunes est en augmentation. Pour Philippe De Feyt, le nombre de jeunes chômeurs et le taux de chômage sont en 2013 les plus élevés depuis 2010: en 2013, presque 120.000 jeunes chômeurs en moyenne annuelle et un taux de chômage de 27% pour la Belgique! Il n’hésite pas à qualifier le chômage des jeunes de « drame social ».
Les conséquences de ce drame, vécues individuellement par les jeunes, sont en fait un défi collectif pour la société belge et européenne, car cette réalité ne s’arrête pas aux frontières de notre pays.
Les jeunes payent le prix d’une crise économique qu’ils n’ont pas causée. Si le manque d’emploi les touchait déjà avant que ne se déclenche la crise économique et financière, le taux de chômage moyen dans les États membres de l’UE est aujourd’hui deux fois plus élevé chez les jeunes que dans les autres catégories d’âge (dans plusieurs États membres, il dépasse la barre des 50 %). C’est ce constat qui a poussé la Conférence des Commissions européennes Justice et Paix à ajouter sa voix au cortège des appels lancés récemment pour que cette injustice trouve une réponse.
Une vision politique globale
Si des actions rapides pour aider les plus menacés sont indispensables, une politique à plus long terme, couplée à des changements culturels, est encore plus importante si l’on veut donner à nos sociétés un modèle d’emploi juste et durable. La crise que nous traversons aujourd’hui peut ouvrir la voie à des changements pérennes, qui reconnaîtront et encourageront le désir légitime des jeunes de participer à la prise de décisions.
Les exigences du marché et du secteur financier supplantent depuis longtemps les besoins de la société. Il faut aujourd’hui oser mettre ce système en question. Si la priorité économique actuelle est donnée au rééquilibrage de nos budgets nationaux, force est de constater qu’on ignore encore trop souvent l’importance d’investir « dans les gens ».
L’enseignement doit être placé au cœur d’une politique d’emploi durable. Cette dernière ne doit pas se « contenter » de « préparer à l’emploi », mais doit également préparer les jeunes à la citoyenneté. Voilà pourquoi un enseignement généraliste s’impose. Toutefois, les établissements d’enseignement doivent nouer un dialogue régulier avec les entreprises et avec les employeurs afin d’offrir des programmes adaptés au marché du travail actuel. Le modèle traditionnel d’un « emploi pour la vie » n’est plus un objectif réaliste ni réalisable. Nombreux sont les jeunes qui auraient besoin d’une approche plus flexible, les encourageant à acquérir un large éventail de compétences qu’ils continueraient à développer tout au long de leur vie professionnelle.
Dans ce contexte, les valeurs que nous inculquons aux jeunes en matière d’emploi et de travail ont également toute leur importance. Les valeurs de solidarité, de biens communs et de services pour l’autre disparaissent souvent dans notre société de plus en plus matérialiste. S’y greffe notre tendance à accepter d’immenses variations de niveaux de rémunérations pour différents types d’emplois, parfois sans que cela n’ait le moindre lien avec la valeur réelle du travail. Pareille dérive risque non seulement d’avoir un impact négatif sur la santé mentale et le bien-être des personnes, mais également de détricoter la cohésion sociale et les liens de solidarité au sein de la société.
Des initiatives citoyennes concrètes
Comme l’a dit le pape François, il faut oser « écouter les aspirations (des jeunes) pour des choses belles et grandes dans leur vie », plutôt que de reposer sur « le sable de l’émotion du moment ».
Nous ne sommes pas en droit de sous-estimer l’importance de l’écoute dont les jeunes touchés par le manque d’emplois peuvent avoir besoin. Un grand nombre d’entre eux souhaitent avoir un espace où exprimer leurs craintes et leurs inquiétudes sans risquer d’être jugés ou stigmatisés.
Force est de reconnaître que de nombreux jeunes ont perdu leurs illusions par rapport à la caste des dirigeants et aux processus politiques, car ils estiment que ces derniers négligent leurs besoins et ne savent pas les protéger. Ce profond désenchantement met en danger la démocratie et risque de faire vaciller nos sociétés. Partout en Europe se manifeste cette frustration, parfois sous la forme d’un soutien aux plus extrémistes des politiciens. À côté d’une stratégie en faveur de l’emploi des jeunes, les dirigeants politiques doivent investir dans la démocratie en mettant en place des mécanismes de consultation impliquant activement les jeunes dans les processus de résolution de la crise.
Pour les jeunes, par les jeunes
Nous devons permettre aux jeunes de créer leurs propres réseaux de solidarité et de partenariat. Des initiatives existent et doivent être appuyées. Un exemple? La toute nouvelle association Magma8. Le Comité de rédaction de leur magazine en ligne est composé de volontaires âgé-e-s de 18 à 35 ans. L’objectif? Que les jeunes expriment leur vision des réalités vécues par leurs semblables. C’est leur permettre ainsi d’explorer de nouvelles visions de société, ambitieuses et créatives.
En ce contexte de transition politique aux niveaux belge et européen, des pistes nouvelles sont à exploiter par nos responsables politiques, telles que:
– privilégier l’emploi dans les plans de relance économique, en les dotant de stratégies spécifiques pour combattre le chômage des jeunes. Ces stratégies doivent être élaborées en consultation avec les jeunes;
– accélérer le dossier de reconnaissance des diplômes au sein de l’Union européenne;
– analyser les mécanismes existants de consultation et de participation des jeunes, dans le but de contrer la désaffection politique et l’extrémisme politique;
– accompagner les employeurs qui offrent des opportunités professionnelles aux jeunes et veiller à la mise en place de mécanismes de réglementation appropriés pour empêcher l’exploitation des jeunes travailleurs;
– accompagner financièrement l’enseignement et la formation professionnelle;
– créer des mécanismes de consultation afin d’évaluer l’apport de nos systèmes d’enseignement à un emploi durable, avec la participation de toutes les parties prenantes, dont le secteur des entreprises, les syndicats et les jeunes eux-mêmes.
Commission Justice et Paix francophone de Belgique