Comment comprendre Jérusalem? Comment l'approcher? Est-elle vraiment importante pour les catholiques? Que peut-elle nous apprendre alors que le Christ n'a pas voulu s'y limiter?
C'est en Samarie, au pied d'une source, que tout a changé. Assoiffé dans sa course vers la Galilée, Jésus s'y arrête pour se reposer. Le lieu est connu, on l'appelle le puits de Jacob, et l'heure est déjà chaude et avancée, nous raconte Saint Jean. L'y rejoint, pour puiser de l'eau, une Samaritaine, et s'engage entre eux une conversation que l'évangéliste rapporte avec précision (ch.4), et qui permet à la femme de reconnaître en Jésus un prophète. Ce n'est plus à Jérusalem, explique alors le Christ, ni sur un quelconque lieu précis qu'il faudra adorer Dieu, mais où que l'on soit, pour autant que ce soit "en esprit et en vérité".
Les paroles, à l'époque, sont radicales et inédites. Jusque-là, les Juifs avaient un temple, celui de Jérusalem, où se trouvait l'Arche de l'Alliance, et où demeure pour eux et selon leur tradition la Présence, auprès de laquelle, aujourd'hui encore, ils viennent prier au pied du mur des Lamentations. Si Jérusalem fait l'objet d'un pèlerinage dès lors essentiel, puisque lieu de cette Présence, ce n'est pas le cas pour les catholiques, tant pour eux, Dieu est partout, dans chaque hostie consacrée. Que l'on soit dans le fin fond d'une paroisse ardennaise, au Vatican ou en Terre sainte, Dieu est présent et nul lieu ne supplante l'autre.
Le rapport au divin, désormais incarné pour les chrétiens, en est bouleversé. "L'Eglise n'est plus un temple qui contient Dieu, mais bien la maison d'une communauté au sein de laquelle Dieu se rend présent", nous explique le Frère Christian Eeckhout, ancien chargé de cours de topographie de Jérusalem à l'Ecole biblique et archéologique française.
Voir, sentir, toucher, entendre
Mais alors, quel rapport le catholique peut-il entretenir avec la Terre sainte? Comment doit-il l'aborder? Est-elle aussi essentielle pour lui que Jérusalem l'est pour un juif ou un musulman? Comment ne pas s'enfermer dans les pierres, ou dans la dévotion de celles-ci.
"Ce lieu de la Terre sainte", nous précise Frère David franciscain à la Custodie de Jérusalem, "est le lieu que Dieu a choisi pour nous rejoindre. Pour nous, la Terre sainte est un moyen, non essentiel, mais privilégié pour s'approcher de lui, pour mieux le comprendre. Il faut pouvoir s'y laisser surprendre, se laisser toucher, ne plus considérer Dieu comme un simple concept, un objet d'étude, mais voir en lui une personne, un ami. Vous savez, un ami, vous ne pourrez jamais prétendre le connaître totalement, il restera un autre, mais vous pourrez toujours approfondir la relation que vous avez avec lui. Se rendre sur les lieux où il a vécu, voir, sentir, toucher, entendre ce qui l'a entouré, permettra cela. La connaissance passe par les sens."
Bien sûr les lieux ont fortement changé, bien entendu certains lieux ne sont pas authentifiés avec certitude (même si d'importants faisceaux d'indices archéologiques permettent de reconnaître le Cénacle, le St Sépulcre ou la maison de Pierre par exemple), "mais nous rencontrons le pays que Jésus et les siens ont parcouru de fond en comble. Nous ressentons ce qu'ils ont pu ressentir."
Dans les rues de Jérusalem se croisent les juifs, les protestants, les musulmans, les différentes confessions orthodoxes, les catholiques. "Chacun a ses codes, ses traditions, ses prières que nous devons regarder avec empathie et respect", ajoute encore Frère David. "La religion juive nous rapproche aussi de la vie de Jésus en sachant qu'il a fait toute chose nouvelle. La foi de l'autre peut nous enrichir, nous nourrir."
Du mur des Lamentations au Cénacle, de l'Esplanade des mosquées au Jardin des Oliviers, une journée à Jérusalem ne peut qu'éveiller la curiosité. Le soir, nous terminons une visite passionnante avec le Frère Christian Eeckhout et nous longeons les murs de la vieille ville pour remonter vers la porte de Sion. Le soleil descend déjà, et en contrebas, la vallée du Cédron s'apprête à rejoindre celle de la Géhenne pour filer vers la mer morte. Au pied des blocs de Pierre rassemblés par Hérode pour défendre la Cité, quelques oiseaux se partagent les branches d'une grande plante de sénevé. Le Frère Christian craque un fruit dans la paume de sa main. Une centaine d'infimes grains s'y déposent avant de s'envoler dans le vent. "Tu vois ces grains? Ils sont minuscules, mais ils donnent partout d'immenses arbustes qui s'accrochent sur les terrains même très secs. Jésus va les comparer, ces grains, au royaume des cieux."
Voilà ce que nous offre la Terre sainte: marcher sur les sentiers qu'a parcourus Jésus, s'arrêter à l'ombre d'un mur, découvrir les grains de sénevé, comprendre la spontanéité des paraboles et se dire que, décidément, la vie d'un apôtre devait être pleine de surprises.
Bosco d'Otreppe, envoyé spécial en Terre Sainte