Après les évangiles de la Samaritaine et de l’aveugle-né, voici, avant que ne s’ouvre la semaine sainte, un troisième long récit de saint Jean. Comme les deux précédents, il s’agit d’une catéchèse sur le baptême, sur la « plongée » dans la mort et la Résurrection de Jésus. Tel est le message exigeant qui précède le récit de la Passion: si l’on veut espérer avoir part à la Résurrection du Christ, il nous faut plonger avec lui dans la mort.
La résurrection de Lazare est le dernier « signe » de Jésus et le plus important. Il se situe six jours avant la pâque, préfigurant en Lazare ce qui va arriver à Jésus. Car c’est bien plus de Jésus que de Lazare dont il est question ici. Deux détails surprenants du récit nous le montrent.
D’abord l’étonnante finale du récit. Si vraiment Lazare est revenu de la mort, on s’attendrait à ce qu’il raconte ce qu’il a vu dans son expérience de la mort… comme dans les témoignages de « vie après la vie. » Rien de tout cela. Lazare ne pipe mot et disparaît dans l’arrière-plan tandis que les projecteurs se fixent sur Jésus.
Et puis, avant même cette finale frustrante, il y a ce retard de Jésus qui ne semble pas pressé de partir, alors même qu’on lui dit que son ami est au plus mal. Jésus qui reste encore trois jours sur place avant de se mettre en route. Jésus ensuite qui ose répondre au reproche des deux sœurs: « je me réjouis pour vous de n’avoir pas été là-bas, afin que vous croyiez. »
Dieu n’a pas fait la mort
Cette réponse, il faut lui donner toute sa portée: à travers la mort de Lazare elle vise toutes nos morts. Jésus montre que Dieu n’est pas du côté de la mort, mais de la vie, et que, s’il laisse à la mort un temps son pouvoir, c’est parce que, à travers elle, il donne à l’homme, par la foi, l’espérance d’en sortir vivant et vainqueur.
Mais cette victoire, lui-même ne l’obtient qu’en subissant la mort. « Si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous », nous disait saint Paul dans la deuxième lecture. De la mort infâme que subira Jésus, va surgir la vie pour tous les enfants de Dieu.
Au cœur du récit évangélique, ce n’est pas le miracle qui importe, mais le dialogue de Jésus avec Marthe. « Je suis la résurrection et la vie », et aussi la réponse de Marthe: « Oui, Seigneur, je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu qui doit venir dans le monde. » Cette confession de foi de Marthe dans l’Evangile de Jean est bien plus plénière que celle de Pierre: « A qui irions-nous? Tu as les paroles de vie éternelle » (6, 66-71). Marthe est ici, bien plus que Pierre, le modèle de la croyante. Et même Marie, accablée par le chagrin, sans professer sa foi, se tourne vers Jésus et non vers le sépulcre. Dans son immense peine, elle choisit de regarder la vie.
Nous faisons l’expérience de la mort de tant de façons au cours de notre existence. La manière dont Lazare sort du tombeau en est l’expression symbolique: « les mains et les pieds liés de bandelettes et le visage couvert d’un suaire ».
Notre « visage est couvert d’un suaire ». Ce suaire peut être le masque de mort que nous nous sommes fait pour nous protéger des autres ou pour nous montrer autre que ce que nous sommes. Peut-être est-ce le masque de nos ambitions, de nos peurs ou de nos mensonges qui sont autant de formes de mort.
Lazare, le pécheur aimé de Jésus comme chacun de nous, du plus profond du royaume de la mort, entend son cri: « viens dehors! » Il revient des enfers, comme le baptisé remonte de la piscine baptismale.
Avec Thomas, « allons-y, nous aussi pour mourir avec lui » et, dans l’Esprit, recevoir « la vie à nos corps mortels. » Avec Marthe, passons de la mort à la vie, en confessant la foi pascale de notre baptême: « tu es le Fils de Dieu, celui qui vient dans le monde. » Avec Marie, tournons les yeux vers le Seigneur.
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