Dans le journal Le Soir de ce 14 janvier, plusieurs membres d’Amos, un collectif d’obédience chrétienne, signe à titre personnel une « carte blanche » en soutien au pape François. Selon les signataires (1), le pape a le droit de prendre position sur des questions politiques, économiques et sociales. Il a même le devoir de s’exprimer, en tant qu’autorité morale. Nous reproduisons ci-dessous le texte intégral de cette opinion.
« La dignité de la personne humaine et le bien commun sont au-dessus de la tranquillité de quelques-uns qui ne veulent pas renoncer à leurs privilèges. » Cette phrase du pape François, dans son récent La joie de l’Evangile (2) et diverses autres déclarations font grincer des dents. Des voix se sont élevées dans certains milieux, notamment outre-Atlantique, pour reprocher au Souverain pontife d’intervenir dans le débat politique, sur des enjeux économiques et de défendre des idées « socialistes ». Nous pensons que ces critiques, au demeurant courtoises et compétentes, sont malvenues.
Oui, le pape intervient dans des débats politiques. Comme autorité morale, il le fait lorsque des enjeux moraux sont maltraités. Et ces situations ne manquent pas… Ce sont les conflits armés, le terrorisme, les persécutions religieuses, le refoulement brutal des immigrés fuyant les souffrances et la misère ou les atteintes à la dignité humaine. C’est aussi un régime économique qu’on soumet, décennie après décennie, à des critères financiers qui sacrifient toujours davantage le social, et donc l’humain. Celui-ci devrait au contraire être la finalité de toute cette activité. L’autorité spirituelle du pape ne s’exerce que sur ses ouailles catholiques et il n’a ni ne doit avoir aucun pouvoir politique. Mais son autorité morale a vocation universelle, car ce sont les raisons invoquées qui comptent – et il ne faut pas être croyant pour refuser qu’on instrumentalise l’humain.
Oui, le pape se mêle d’économie. Non pas pour jouer les économistes, mais pour exercer sa mission spirituelle et dénoncer ce qui est humainement indigne dans le fonctionnement de notre économie mondialisée. Tout s’y mesure en argent et se règle suivant de seuls critères financiers – quand on ne l’abandonne pas à elle-même, donc aux puissants. Il nous semble incroyable qu’il se trouve encore aujourd’hui des responsables et des économistes pour prétendre que tout le monde se trouve mieux à laisser jouer l’autorégulation des marchés, par la libre initiative des détenteurs de ressources et par la libre circulation des capitaux, des marchandises et des services – mais pas forcément des personnes! Faut-il vraiment rappeler que l’économie est au service de l’humain, et non l’inverse?
Non, le pape n’est pas ‘socialiste’, il prend au sérieux l’Evangile, comme ses prédécesseurs. Il en appelle à un engagement concret de tous en faveur de la justice. Socialiste ne saurait, au demeurant, être une insulte et il est notable que ce le soit devenu dans le chef de ceux que dérange, intellectuellement ou très matériellement, la prétention du politique à veiller au bien commun. Bien commun qui est plus que l’intérêt économique général et donc beaucoup plus que le respect des intérêts particuliers. En fait, tout ce qui n’est pas individuel devrait être politique. Hélas, nos démocraties (qui le sont de moins en moins) soustraient de plus en plus au débat public, les grands choix de société. Le pape veut les y remettre: grâce lui en soit rendue! »
(1) Peter Annegarn (CIL), Charles Delhez sj, José Gérard (Couple et famille), Michel Hansenne (Altercité), Michel Kesteman (Altercité), Aliette et Raymond Leleux (Baptisés en marche), Philippe Lemaître (CVX), Paul Löwenthal (CIL), Clotilde Nyssens (Altercité), Myriam Tonus (laïque dominicaine)
(2)Evangelii gaudium, Exhortation apostolique post-synodale, Editions Fidélité 2013.