Décédé le 24 août dernier à Meylan, près de Grenoble, à l’âge de 86 ans, Jean Bastaire était un homme humble et discret, peut-être même un peu trop. Du coup, son œuvre n’a pas reçu l’écho qu’elle méritait. Il n’est toutefois pas trop tard pour se plonger dans la vingtaine de livres que son épouse et lui ont consacré à l’écologie chrétienne, car ils n’ont rien perdu de leur actualité.
Il suffit parfois de peu de choses pour qu’une vie bascule totalement. Alors qu’il faisait ses débuts à Paris en 1946 comme journaliste cinématographique, Jean Bastaire est contraint de mettre un terme à son activité et de passer deux ans en sanatorium, les poumons abîmés par la tuberculose. « Le désespoir m’aurait gagné« , raconte-t-il, « si je n’avais rencontré deux personnes d’exception« : l’abbé Lucien Ducretet et Hélène, médecin de dix ans son aînée, avec qui il en vint rapidement à parler de spiritualité. « C’est grâce à ces deux êtres que je suis devenu chrétien. » En 1950, Hélène et lui se marient et s’installent à Meylan, près de Grenoble, où ils vivent une vie de solitaires.
Amoureux des lettres, Jean Bastaire se passionne pour Charles Péguy et Paul Claudel, dont il devient rapidement un grand spécialiste. C’est au contact de leur œuvre, mais aussi du cardinal Henri de Lubac, son maître et ami, qu’il approfondit sa foi et s’ouvre à un christianisme de l’Incarnation. Un christianisme « qui ne cherche pas à fuir le monde« , écrit-il, « mais qui comprend que c’est en ‘s’incarnant’ nous-mêmes, en nous rapprochant de la terre, qu’on se rapproche du Seigneur ».
Un couple militant
Ce n’est toutefois que dans les années 1960 qu’il se convertira à l’écologisme, sous l’influence de sa femme Hélène, médecin homéopathe. Depuis, ils militent ensemble activement pour une écologie chrétienne qui passerait par un renouveau de la spiritualité franciscaine. Dans plus d’une dizaine d’ouvrages, ils prônent la défense de la Création et s’opposent avec énergie à l’hérésie productiviste/consumériste, qui est en train de détruire notre planète. Pour Jean et Hélène Bastaire, engagés tous deux au WWF dès 1970, la promesse de salut n’est pas destinée à l’homme seul, mais à l’ensemble de la Création dont il est responsable.
« Bien sûr, il ne s’agit pas de tomber dans le piège de la ‘deep ecology’, qui conçoit l’homme comme une nuisance pour la nature« , expliquait-il au magazine « La vie », il y a quelques années. « L’homme est au contraire au centre et premier, car il en est le gérant. C’est par lui que passe sa sauvegarde. Toutefois, il doit réapprendre à devenir un bon gérant et pour cela redécouvrir la valeur de la Création. Elle n’est pas un séjour provisoire pour l’homme qui, une fois sauvé, la laisserait partir à la casse. Non, elle a été créée comme un tout, dont l’homme est le centre, pour être glorifiée. »
Un homme trop discret
Après la mort d’Hélène en 1992, dont il était extrêmement proche, Jean Bastaire continue à cosigner ses ouvrages avec le nom de sa femme, dans « une collaboration indicible mais réelle, qui s’apparente à ce que l’on nomme la communion des saints« . Homme discret et fidèle, Jean Bastaire ne s’est jamais mis en avant. C’est peut-être en partie pour cette raison que son message n’a pas reçu l’écho qu’il espérait au sein de la communauté catholique. Il a pourtant écrit de nombreux livres de référence sur ce thème, dont les plus marquants sont, sans conteste, « Le Chant des créatures » (Cerf, 1996), « Pour une écologie chrétienne » (Cerf, 2004) et « Pour un Christ vert » (Salvator, 2009). Des livres à redécouvrir, tant ils sont toujours aujourd’hui d’une brûlante actualité.
Poète et mystique amoureux de la nature, Jean Bastaire rêvait aussi de fonder une congrégation de Petits frères et de Petites sœurs de la Création, dont la mission eut été d’agir concrètement pour la défense des milieux naturels et la protection des animaux, dans le cadre de la sauvegarde de l’œuvre de Dieu. Ce rêve n’a jamais abouti, mais peut-être se concrétisera-t-il un jour…
Pascal ANDRÉ