C’est avec des feux d’artifice que Zagreb, la capitale de la Croatie, a salué l’entrée de son pays dans l’Union Européenne. Pour son Président de la République, Ivo Josipovic, cette adhésion est avant tout considérée comme « un projet de paix ». Mais avec la crise économique, le pays n’a guère le cœur à la fête…
Les 4,4 millions d’habitants qui peuplent la Croatie auront attendu 22 ans pour intégrer l’Union Européenne (UE). Après la proclamation d’indépendance de leur pays, le 25 juin 1991, le conflit avec la Serbie s’était en effet prolongé jusqu’en 1995 et l’expulsion d’une bonne partie de sa population serbe qui avait pris les armes dans l’espoir de s’opposer à la sécession. Certes, les « plaies » (dont l’origine remonte à la Deuxième Guerre mondiale) ne sont pas complètement cicatrisées et des tensions demeurent à Vukovar, ville qui compte une importante population serbe. Mais les autorités gouvernementales de Zagreb (tendance social-démocrate) ont permis d’éviter que la situation ne se dégrade.
En fait, selon l’analyse du Grip (Groupe de rcherche d’information sur la paix et la sécurité), c’est moins le problème avec la minorité serbe, ou l’inaptitude de la justice croate à poursuivre les criminels de guerre issus des rangs gouvernementaux, que deux différends avec la Slovénie qui ont ralenti le processus d’adhésion à l’UE. L’un portait sur les frontières terrestres et maritimes des deux États; l’autre concernait les 130.000 épargnants croates grugés par la liquidation, au début des années 1990, de la Ljubljanska Banka, une des principales institutions financières de l’ex-Yougoslavie, basée en Slovénie. Ce dernier litige ne fut résolu que le 11 mars dernier !
Touché par la crise
Mais c’est aussi un pays touché par la crise économique qui fait son entrée dans l’UE. Comme beaucoup d’États européens, la Croatie est entrée en 2009 en récession économique. Le chômage affecte près d’un cinquième de la population active; il affecte en particulier les plus jeunes: 50% des Croates de moins de 25 ans n’ont pas d’emploi…
À courte échéance, l’adhésion ne devrait guère favoriser l’emploi et la croissance économique d’un pays qui tire 15% de sa richesse du tourisme et dont le revenu moyen équivaut à 65% du revenu moyen de l’UE (comparable à celui de la Pologne). Mais selon son Président, cette entrée devrait permettre d’accélérer le rythme des réformes en vue d’alléger la bureaucratie et de lutter davantage contre la corruption.
Influence de l’Eglise ?
En revanche, sur les questions de société, l’Union européenne est perçue avec méfiance par une bonne moitié du pays où près de 87 % des habitants se déclarent catholiques. Ainsi, au début de l’année, des associations de parents sont partis en croisade contre l’introduction de l’éducation sexuelle dans les écoles. Le projet a été bloqué par la Cour constitutionnelle. Plus récemment encore, les mêmes activistes catholiques, soutenus par l’Église, ont fait campagne pour la défense du mariage, récoltant plus de 700.000 signatures pour réclamer l’organisation d’un référendum afin d’inscrire dans la Constitution la définition du mariage comme « l’union entre un homme et une femme ».
Bien qu’elle ait appelé à voter en faveur de l’adhésion lors du référendum, l’Église catholique croate se veut toujours la gardienne de l’identité nationale et religieuse. Mais elle doit faire face à une société sécularisée. La pratique religieuse est estimée entre 15 % et 20 %, et son influence auprès de la population jeune et urbaine est faible.
En s’engageant aux côtés du HDZ (la formation nationaliste de Franjo Tudjman), elle avait obtenu l’introduction de cours d’instruction religieuse dans les écoles publiques. Mais elle n’a pu interdire l’avortement, le travail dominical ou l’accès à la procréation médicalement assistée pour les femmes célibataires. Et lors de la dernière campagne pour l’élection présidentielle, Ivo Josipovic s’était ouvertement déclaré comme non croyant, contrairement à l’autre candidat qui bénéficiait d’un large soutien de l’Église catholique. Cela ne l’a pas empêché d’être élu.
Pierre GRANIER (avec La Croix)