Dans cette ville du nord du Mali, les nomades touaregs refusent de se soumettre au pouvoir ‘noir’ de Bamako.
« Une chasse à l’homme noir est engagée à Kidal », assure un témoin anonyme de cette ville perdue aux confins du nord du Mali, non loin du Niger et de l’Algérie voisine. Si le mot ‘chasse’ est peut être fort, il exprime une inquiétude de la part des populations noires de revivre l’antagonisme qui a longtemps existé entre populations ‘blanches’ nomades et noires. Dans cette ville de plusieurs milliers d’habitants où se sont réfugiés les combattants touaregs du MNLA (le Mouvement national de libération de l’Azawad), chassés par les troupes françaises en janvier dernier, la tension est montée d’un cran depuis que l’armée malienne a décidé de reconquérir cette portion de territoire laissé aux mains des mouvements nomades. C’est le calendrier électoral qui a relancé l’opposition : le pouvoir malien ne peut en effet accepter que l’armée malienne ne soit pas présente sur ce dernier morceau de terre, alors que des élections présidentielles sont prévues le 28 juillet prochain. Elles sont donc décidées à reprendre la ville et le MNLA à s’y opposer, risquant de faire basculer la ville dans un cycle de représailles violentes.
« Le MNLA s’attaque aux populations noires, y compris les femmes et les enfants », assure un autre habitant de Kidal, « ils disent qu’ils vont les renvoyer vers le Mali, soit vers Gao avec la complicité flagrante des Français qui ne font rien ». Certaines personnes assurent avoir vu le MNLA préparer des camions afin de les remplir de noirs et de les chasser de qu’ils considèrent comme leur territoire ancestral.
Mythes et réalités
Il n’est pas facile de savoir qui est véritablement le MNLA aujourd’hui, ni quel est précisément le territoire qu’il revendique. Le territoire de l’Azawad qui signifie ‘pâturage’ en langue touarègue relève davantage du mythe d’un nomade qui ne reconnaît pas d’autre maître que lui-même que de la réalité des petites villes multiethniques de la région. De plus, le MNLA est loin d’être représentatif de tous les Touaregs qui sont eux mêmes très divisés. Mais si la position du MNLA se radicalise aujourd’hui, c’est qu’il y a derrière ce mouvement d’autres forces en jeu.
Les rangs du MNLA ont d’abord été rejoints par d’anciens éléments liés à Aqmi (Al Qaeda au Maghreb Islamique), qui entraine le mouvement dans une dérive islamiste radicale et criminelle, dont l’intérêt est de maintenir la pauvreté et l’instabilité dans la région. Par ailleurs, la présence militaire française qui demeure active, apparaît ambiguë : dans le passé colonial, les Français ont longtemps joué la division entre les Maliens afin de mieux assurer leur domination sur un territoire incontrôlable et riche en ressources énergétiques. Enfin, en amont de l’histoire coloniale, ressurgit l’antique antagonisme qui oppose les Touaregs aux populations noires installées dans la région. Le retour de la domination de l’armée malienne est donc perçu par nombre de Touaregs comme une réaffirmation d’une domination du sud sur le nord ‘blanc’, qui les contraint à redevenir les ‘subordonnés’ de ceux qui étaient autrefois leurs ‘esclaves’.
Laurence D’Hondt.
Retrouvez l’article complet dans Dimanche Express n° 24 daté du 23 juin (en vente sur la boutique en ligne: http://boutique.catho.be), ainsi que l’interview de Malek Chebel, anthropologue et grand spécialiste de l’Islam. Il a publié chez Fayard « L’esclavage en terre d’Islam », dans lequel il dénonce la perpétuation de cette pratique dans de nombreux pays musulmans.