Cela fait trois ans qu’on nous parle de crise. Alors qu’on la croyait finie dès 2010, elle a ressurgi en 2011 et atteint aujourd’hui un degré de tensions sociales qui peut faire craindre une véritable explosion. L’Europe a-t-elle encore un avenir ? L’euro peut-il être sauvé ? Mais surtout, l’appauvrissement des populations, particulièrement au sud du Vieux continent, peut-il être évité ?
Car, le véritable enjeu se trouve bien là : en réduisant les salaires de base, les pensions, les allocations de toutes sortes pour retrouver une rigueur budgétaire imposée par la pacte de stabilité de l’Union européenne, les gouvernants en arrivent à créer un phénomène de paupérisation, véritable source potentielle d’explosion sociale. Dans cette situation, on doit s’interroger : la politique européenne et celle des grands argentiers du monde (Fonds Monétaire International, Banque Mondiale et banque centrale européenne placent-elles encore l’humain au centre des préoccupations ? Ou, au nom d’une orthodoxie financière – que l’on peut comprendre – cette notion d’humanisme et de solidarité, est-elle enterrée ?
Manque de vision à long terme
Si en 2008, on parlait de crise immobilière aux Etats-Unis laquelle a débouché sur la crise financière et bancaire, aujourd’hui, nous vivons une crise des dettes des états, qui impacte évidemment l’euro et la vie des citoyens européens. Il n’est sans doute plus exagéré d’écrire que désormais, nous traversons une crise économique qui affecte les acteurs économiques mais aussi les gouvernements et les ménages.
Le drame de l’Europe et de nos pays, est sans doute que nos dirigeants ont « le nez sur le guidon » et, de ce fait, n’ont plus de vision d’avenir. A cela s’ajoute un protectionnisme nationale qui va à l’encontre des valeurs de solidarité qui devraient régir les relations entre membres d’une même union, a fortiori si ces membres présentent de grandes disparités entre eux. Dès lors, on pare au plus pressé pour éviter que l’incendie se propage, quitte à faire des dégâts sur le plan social. Vue à court terme s’il en est mais qui met mal à l’aise aussi dans la mesure où, comme le dénonçait le pape Benoît XVI dans son encyclique « Caritas in veritate » – qui, en 2009, indiquait une voie pour sortir de la crise mondiale et engager des relations économiques fondées sur la fraternité – l’être humain est devenu « une marchandise ».
S’indigner et s’insurger contre les injustices sont des devoirs, pour nous chrétiens, et pour tout être empreint d’humanisme. Le Christ n’a pas agi autrement. Certes, on doit regretter les violences et les dégâts causés : elles ne mènent à rien mais, sauf si elles sont le fait de « casseurs », elles traduisent un profond désarroi.
Rassembler dans une large dynamique
Benoît XVI invitait, il y a deux ans, à faire « renaître le courage et à se projeter dans l'avenir de l'humanité, non avec les illusions d'idéologies dépassées, mais dans la liberté de rassembler, dans une large synthèse dynamique, tous les éléments issus de l'expérience négative et positive des peuples, de la réflexion des diverses disciplines, de la fatigue de la raison ».
En prônant le retour à l’équilibre budgétaire – ce qu’on ne peut rejeter – dans un délai très (trop ?) court, les technocrates risquent de provoquer un véritable séisme social. A terme, c’est l’avenir de l’Europe qui se joue sur la Grèce, l’Espagne et le Portugal. Nos dirigeants doivent le comprendre. Car qui peut vivre avec 350 € par mois comme c’est le cas en Grèce, alors qu’on connaît le coût de la vie à Athènes ? Même en Belgique, le bien-être recule. La classe moyenne qui s’est constituée après-guerre diminue : certaines personnes qui en faisaient partie ne parviennent plus à « nouer les deux bouts ».
Les déséquilibres sont toujours sources, à terme, de problèmes. Dans un monde globalisé, devenu un village, toute crise prend des proportions énormes. Or, la persistance des déséquilibres constitue une atteinte à la dignité de la personne humaine. Faire de celle-ci la victime expiatoire de dynamiques économiques purement utilitaires est un crime, car ce sont les plus pauvres qui en subissent les effets les plus durs.
Récemment, notre archevêque, Mgr André-Jospeh Léonard, reprenant les propos de pape, déclarait devant un parterre d’hommes d’affaires réunis au Belgian Finance Club : «l'économie ne fonctionne pas seulement selon une autorégulation mercantile: elle a besoin d'éthique pour lacer l'homme au centre de sa démarche».
La crise doit inciter à aller d’abord vers ceux qui sont sans ressources ou qui risquent de l’être. Oui : l’Europe peut être sauvée. Oui, l’euro peut redevenir une monnaie forte. A condition que nos gouvernants mettent tout en œuvre pour arriver à atténuer les effets de la crise sur les citoyens les plus fragilisés. Utopie ? Non ! C’est en s’attaquant à de tels grands défis que l’on reconnait les hommes et les femmes d’état. Sinon, ils ne laisseront dans l’Histoire que le souvenir d’une mondialisation ayant entraînée une spirale « d'esclavages » toujours plus dramatiques, avec les conséquences que l’on peut craindre.
JJD