Seule non-croyante à prendre la parole lors de la rencontre interreligieuse d’Assise, le 27 octobre 2011, la philosophe Julia Kristeva déplore un manque d’attention aux "bienfaits de l’expérience religieuse". Dans une interview publiée le 26 octobre par l’AFP, la philosophe et psychanalyste franco-bulgare explique qu’elle plaidera pour un humanisme rapprochant esprit des Lumières et religions.
Julia Kristeva estime qu’il y a "une place vide à combler, dans la philosophie des Lumières qui s’est surtout attaquée aux abus du religieux, à l’obscurantisme". "On n’a pas beaucoup sondé les bienfaits de l’expérience religieuse", reconnaît-elle, évoquant le souvenir de son père croyant, théologien et médecin.
"Si je me rends à Assise, c’est pour voir comment, nous les humanistes, nous pouvons nous arrimer à la politique de paix de l’Eglise, comment nous pouvons nous enrichir, nous modifier, nous interroger". Sans renier son athéisme, Julia Kristeva se définit comme "humaniste, enfant des Lumières et de la République". Elle n’en a pas moins lu les Pères de l’Eglise et consacré 10 ans à l’expérience mystique de sainte Thérèse d’Avila (1515-1582).
Quand on lui demande d’où vient son empathie pour le "croire", elle met en avant la culture judéo-gréco-chrétienne, mais aussi les sciences humaines, notamment la psychanalyse, "trop souvent brocardée". "Il me semble que, parmi les sciences humaines, la psychanalyse est la seule à reconnaître la légitimité du besoin de croire. J’entends par là un besoin anthropologique qui est préreligieux, que l’on va retrouver dans tout enfant qui commence à parler". "Les liens que la religion exploite, affirme encore l’épouse de l’écrivain catholique Philippe Sollers, sont des liens anthropologiques que souvent l’humanisme des droits de l’Homme ne nie pas, mais n’a pas exploré, n’a pas cultivé. On s’est tourné vers le juridique, le pragmatique, les relations professionnelles, mais les relations affectives ont été un peu abandonnées".
Julia Kristeva pense que "l’urgence d’un humanisme du XXIe siècle s’impose alors que l’humain est contraint à une technicité de plus en plus grande et en même temps à un dessèchement des affects". Elle déplore que "toute l’histoire que l’Europe nous a donnée, au croisement du judaïsme, de la Grèce et du catholicisme, toute cette stratification des sentiments, des affects, des images, des sons, avec la philosophie, le dialogue, la conversation ou la musique baroque, tout cela a été effacé".
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