Climat : le Pape est invité à restaurer les “vendredis sans viande”


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Climat : le Pape est invité à restaurer les “vendredis sans viande”
Par Nancy Goethals
Publié le - Modifié le
6 min

"Avec plus d'un milliard de catholiques, l'Église catholique est "très bien placée" pour contribuer à atténuer le changement climatique", estime Shaun Larcom, chercheur en économie de l’agriculture à l’Université de Cambridge et coordonnateur d’une étude qui montre l’impact d’une baisse de consommation carnée une fois par semaine.

La pratique du jeûne sans viande le vendredi était destinée à faire mémoire de la Passion du Christ, le Vendredi Saint. Aujourd'hui elle se veut éco-responsable.

L’équipe du professeur Larcom a évalué l’impact d’un appel lancé en 2011 par les églises d’Angleterre et du pays de Galles à leurs fidèles pour qu’ils s’abstiennent de manger de la viande le vendredi. Bien que seulement un peu plus d’un quart des catholiques aient décidé d'arrêter ou de réduire leur consommation de protéines animales le vendredi, cela a permis d’éviter l’émission de 55 000 tonnes de CO2 par an. A titre de comparaison, c’est comme si 82 000 personnes ne prenaient pas un vol Londres-New York au cours d’une année.

L'étude a été publiée sous la forme d'un document de travail en attente d'examen par les pairs sur le Social Science Research Network. Les chercheurs y démontrent que  «même un petit changement de régime alimentaire de la part d'une minorité de catholiques britanniques a eu des effets bénéfiques importants sur l'environnement ». Dès lors, ils soutiennent qu'un décret papal rétablissant les vendredis sans viande dans l'ensemble de l'Église mondiale permettrait de réduire l’émission de millions de tonnes de carbone par an.

En effet, consommer de la viande n’est pas sans conséquence en la matière, tant d’un point de vue des émissions de gaz à effet de serre (15 % des émissions anthropiques selon la FAO) que de celui de la déforestation (65 % du déboisement de l'Amazonie selon Greenpeace). En effet, les élevages intensifs prennent la place des forêts soit pour faire paître les animaux soit pour la culture des céréales destinées à les nourrir. Or, les arbres et le sol, tout comme les océans, stockent le dioxyde de carbone - c'est ce que l'on appelle des "puits de carbone".

Par rapport aux émissions de dioxyde de carbone, la manière dont les puits de carbone terrestres et océaniques réagiront à l'avenir est une zone d'incertitude, selon le GIEC. CC by S.A. 4.0.

Par ailleurs, c’est en ruminant que les bovins émettent du méthane, l’un des principaux gaz responsable du réchauffement climatique. C’est dans ce sens que l'agriculture carnée est l'un des principaux moteurs des émissions de gaz à effet de serre et du changement climatique.

Une solution simple à mettre en œuvre

"Le pape François a déjà souligné l'impératif moral d'agir face à l'urgence climatique, ainsi que le rôle important de la société civile pour parvenir à la durabilité en changeant de mode de vie", rappelle le professeur Shaun Larcom. Les vendredis sans viande sont donc une solution et ce, "même si seule une minorité de catholiques choisit de s'y conformer, comme nous le constatons dans notre étude de cas." Par exemple, les chercheurs affirment que si les évêques catholiques des États-Unis émettaient à eux seuls une "obligation" de résister à la viande le dernier jour de la semaine de travail, les bénéfices environnementaux seraient probablement vingt fois plus importants qu'au Royaume-Uni.

Larcom et ses collègues ont combiné de nouvelles données d'enquête avec celles provenant d'études sociales et alimentaires afin de quantifier les effets d'une déclaration publiée par l'Église catholique d'Angleterre et du Pays de Galles rétablissant les vendredis sans viande comme acte collectif de pénitence à partir de septembre 2011, après une interruption de 26 ans.

L'étude de Cambridge rapporte que pour les catholiques qui ont déclaré avoir simplement réduit leur consommation, les chercheurs ont supposé une réduction de moitié de la consommation de viande le vendredi. (crédit photo : CC by NC-ND 2.0.)

"Nos résultats montrent comment un changement de régime alimentaire au sein d'un groupe de personnes, même s'il s'agit d'une minorité dans la société, peut avoir des répercussions très importantes sur la consommation et la durabilité" 

Dr Po-Wen She, co-auteur de l'étude de l'université de Cambridge sur l'impact des vendredis sans viande imposés par l'Eglise catholique d'Angleterre et du Pays de Galles

A noter que les chercheurs ont également testé les "impacts religieux" en utilisant les données d'une enquête longitudinale qui interrogeait les catholiques britanniques sur leur vie religieuse. Aucun effet discernable sur la fréquentation des églises ou sur la force de la croyance religieuse personnelle n'a été détecté au cours de la période pendant laquelle les vendredis sans viande ont été réintroduits.

Remplacer la viande par le poisson ? Et la biodiversité ?

La pratique de l’abstinence de viande le vendredi remonte au moins à la déclaration du pape Nicolas Ier au 9e siècle. Les catholiques devaient s'abstenir de manger de la viande ("chair, sang ou moelle") le vendredi en mémoire de la mort et de la crucifixion du Christ. Elle a conduit de nombreux catholiques - et même de larges pans de la population des pays à prédominance chrétienne – à se tourner vers le poisson, pour remplacer les protéines. Cette tradition n'est plus une obligation depuis les années 1960, sauf pendant le carême précédant Pâques, et est tombée en désuétude.

Au vu de l’augmentation de la consommation de poisson - pas uniquement chez les catholiques, bien sûr! -, au cours des 40 dernières années, les populations d’espèces marines ont enregistré un déclin de 39 % (source : WWF). Mais les ressources de la mer ne sont pas inépuisables. La FAO avertit qu’un tiers des stocks de poissons est surexploité dans le monde. Même si d’autres solutions existent pour remplacer les protéines animales, le problème c'est la surconsommation.

Le bilan carbone de la viande est lourd

Les 15% d'émissions de gaz à effet de serre résultant de l'élevage de bétail sont donc liées aux activités humaines. Sans compter que la production d’un kilo de bœuf nécessite plus de 13 500 litres d’eau, contre environ 4000 pour un kilo de poulet, soit 3,5 fois plus. Or, la production de viande devrait continuer à augmenter dans les décennies qui viennent, notamment dans les pays émergents. Elle pourrait ainsi atteindre au moins 524 millions de tonnes en 2080, selon la FAO. Mais, pour rappel, en 2050, les Etats se sont engagés – via l’Accord de Paris (Cop 21) à ne plus émettre de carbone.

L’Etat du Vatican a signé cet accord. Il pourrait donc encourager les catholiques à réduire leur consommation de viande, au bénéfice de la santé de la planète mais aussi de leur propre santé. Car la surconsommation de viande a aussi des effets négatifs sur la santé humaine, notamment à cause des acides gras saturés, facteurs de maladies cardio-vasculaires .

L'équipe du professeur Larcom a calculé l'empreinte carbone d’une minuscule baisse de la consommation de viande en comparant les émissions générées par les régimes quotidiens moyens des mangeurs et des non mangeurs de viande en Angleterre et au Pays de Galles. Le régime non carné moyen, riche en protéines et comprenant des aliments tels que le poisson et le fromage, ne contribue qu'à un tiers des émissions de gaz à effet de serre par kilo par rapport au mangeur de viande moyen.

Cette étude britannique vient donc confirmer ce que les différents rapports du GIEC ont déjà annoncé clairement : une diminution importante de la consommation de viande est un levier efficace dans la lutte contre le dérèglement climatique.

Le Dr Luca Panzone de l'université de Newcastle, co-auteur de l'étude, a ajouté : "Bien que notre étude ait porté sur un changement de pratique chez les catholiques, de nombreuses religions ont des interdits alimentaires susceptibles d'avoir un impact important sur les ressources naturelles. D'autres chefs religieux pourraient également susciter des changements de comportement pour encourager davantage la durabilité et atténuer le changement climatique."

Nancy Goethals avec divers médias


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