Ordination: rencontre avec Fikri Gabriel, nouveau prêtre syriaque


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Ordination: rencontre avec Fikri Gabriel, nouveau prêtre syriaque
Par Sophie Delhalle
Publié le - Modifié le
6 min

Dimanche 26 novembre, lors d’une célébration œcuménique, Fikri Gabriel a été ordonné prêtre en présence de Monseigneur Jean-Pierre Delville. Nous l’avons rencontré à l’aube de célébrer sa première liturgie dimanche 3 décembre à Herstal pour la communauté syriaque orthodoxe de Liège. Portrait.

monastère de Saint Gabriel (Mor Gabriel)

Né dans un petit village du Tur Abdin dans le sud-est de la Turquie, Fikri Gabriel est confié par ses parents au monastère Saint Gabriel à l’âge de douze ans. Il s’agissait alors de la seule possibilité pour la communauté syriaque d’apprendre à lire et à écrire sa langue maternelle. « Je ne pensais absolument pas devenir prêtre à cette époque. » nous confie Fikri. Il garde un souvenir extraordinaire de son séjour – qui aura duré quatre ans - chez les moines. Adolescent, Fikri arrive en Belgique et s’installe à Liège avec sa famille. Scolarisé, il rencontre une professeure de latin qui prend toute la fratrie Gabriel sous son aile. Au terme de ses études secondaires, Fikri veut faire de l’histoire « pour transmettre mon histoire ». On lui propose de devenir professeur de religion, ce qui le surprend dans un premier temps, de par sa confession et sa difficulté à parler le français. Il entre alors au séminaire et décroche son graduat pour enseigner la religion catholique avec la bénédiction de l’évêque de l’époque. C’était il y a vingt-cinq ans. Fikri Gabriel s’est marié, le couple a eu trois enfants et a construit sa maison, mais Fikri se sent incomplet. Poussé par son épouse, il entame des études de théologie à l’Université Catholique de Louvain couronnées par un mémoire sur l’attitude du Vatican face au génocide des Syriaques. Il poursuit actuellement une thèse de doctorat sur le même sujet, dont la rédaction est en cours.

ordination de Fikri Gabriel à la basilique Saint Martin (c) diocèse de Liège

Depuis vingt ans, la communauté syriaque de Liège le poussait à devenir prêtre. « Je ne me voyais pas devenir prêtre car j’étais très critique à l’égard de l’organisation de mon église. » Cette dernière est traversée par des dissensions entre les fidèles. Fikri sera marqué par le discours de communion prononcé par le patriarche Ignace Ephrem II lors de sa visite à Liège début octobre. « Déjà pendant mes vacances, j’avais ressenti un appel, entendu une voix à l’intérieur de moi qui me disait : « Va leur donner, leur raconter le Christ ». La question état de savoir comment. En délivrant les sacrements et cela signifiait d’accepter d’être prêtre. Je me suis donc adressé à ma communauté : « Puisque c’est vous qui faites de moi un prêtre et que moi prêtre je fais de vous une paroisse, nous devons nous soutenir et nous respecter. »» Pour Fikri, c’est le Seigneur qui l’a choisi et de citer l’évangile de Jean : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi mais c’est moi qui vous ai choisis. » (Jn 15, 16) La cérémonie d’ordination s’est déroulée dans un esprit œcuménique selon la volonté de Fikri. « L’œcuménisme fait partie de moi. Je ne pourrais pas vivre ma tradition sans les autres traditions. Cette mosaïque de traditions chrétiennes, c’est une richesse, je la vois comme un jardin avec plusieurs variétés de fleurs. » Pour Fikri, le moment fort de la célébration fut celui de l’imposition des mains et « quand l’évêque a commencé à m’habiller puis m’a invité à bénir l’assemblée venue en nombre. C’était impressionnant et magnifique. Je dis merci à toutes les personnes qui étaient présentes. »

Les différences entre les catholiques et les syriaques orthodoxes ne sont pas d’ordre théologique mais culturel. « Nous avons les mêmes sacrements mais c’est la manière dont nous les donnons et les recevons qui est différente. Chez nous, le baptême se fait par immersion. Les sacrements du baptême, de la communion et de la confirmation sont délivrés en même temps. » explique Fikri. Il n’y a pas d’eucharistie dans une cérémonie de mariage syriaque mais deux rituels : l'échange des alliances et le couronnement. Le prêtre syriaque est marié « parce qu’il fait partie du monde et doit rester dans le monde ». Il est également élu par la communauté et non désigné par la hiérarchie. « En fait, notre pratique cultuelle a aussi été influencée par notre histoire de peuple rescapé, menacé. » précise Fikri (cfr Syriaques en Belgique) Une liturgie syriaque dure également plus longtemps, environ deux heures, et les fidèles vont et viennent au cours de la célébration. « Chez nous, c’est plus bruyant ! » s’exclame Fikri avec un grand sourire. « Il est important pour moi que les parents viennent aussi avec leurs enfants car ceux-ci doivent être imprégnés de la vie de l’église. Je veux que les paroissiens et les jeunes en particulier soient acteurs de l’église. Je souhaite également rapidement constituer un conseil des femmes pour animer la vie de la communauté. L’intuition féminine est primordiale, complémentaire. D’ailleurs, en syriaque, l’Esprit Saint est féminin.» Dans son homélie d’ordination, Fikri a voulu tout d’abord remercier les quatre femmes qui ont joué un rôle important dans sa vie, et sans lesquelles « je ne serais pas là aujourd'hui ».

Il se confie sur sa vision de l’avenir. « Si le message du Christ ne pouvait pas être actualisé, il serait déjà mort depuis longtemps. Actualiser ne signifie pas transformer, ni changer, mais adapter à notre époque et à notre réalité. J’ai été choisi par ma communauté et j’ai accepté de prendre ce service qu’on ne peut porter sans la présence, le soutien de Dieu. Jésus-Christ est mon bouclier. Il est ma force, c’est lui qui m’a choisi. » Fikri nous parle aussi de ses craintes concernant l’avenir même de sa communauté. « Si nous ne parvenons pas à créer une région tampon, autonome, dans le nord de l’Irak pour les chrétiens, alors ce sera bientôt la disparition des chrétiens d’Orient et avec eux la fin d’un patrimoine mondial. »

Au terme de notre entretien, Fikri se laisse aller à une dernière confidence : « Dans mon métier d’enseignant, j’essaie de donner la parole à chacun de mes élèves. Si je peux parvenir à faire la même chose avec mes paroissiens, je serai le prêtre le plus heureux. »

Région du Tur Abdin, dans le sud-est de la Turquie, voisine de l'Irak

 

Les Syriaques : une diaspora méconnue

Ils sont environs 20 000 à avoir rejoint le territoire belge depuis les années 1980, fuyant les persécutions politico-religieuses. La communauté syriaque (catholique et orthodoxe) de Liège regroupe à peu près 350 familles. Ce peuple au passé millénaire revendique un héritage remontant à l’époque des Akkadiens, Sumériens, Assyriens, Babyloniens, Araméens et Chaldéens qui ont dominé la Mésopotamie durant l’Antiquité. C’est le premier peuple non-juif à avoir accepté le christianisme comme l’atteste le livre des Actes des Apôtres (Ac 11, 26). Avec l’arrivée des Arabes au VIIe siècle et celle des Turcs au XIe siècle, leur territoire se réduit comme peau de chagrin. Sous l’Empire Ottoman, leur situation se dégrade jusqu’à subir un génocide (Seyfo) en 1915. Actuellement, la majorité des Syriaques se trouvent en Europe et en Amérique.

Sophie Delhalle

Catégorie : Eglise Belgique

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