Avant d’entreprendre sa marche ultime vers Jérusalem, vers sa passion, sa mort et sa résurrection, Jésus prépare ses disciples. De façon simple et concrète, il leur pose deux questions. Tout d’abord: "Qui est le Fils de l’humain (expression littérale qui est souvent traduite par 'Fils de l’homme') d’après ce que disent les humains?" Cette question est déjà une révélation: Jésus se présente comme le descendant d’un lignage humain dont il reçoit, par la chair et le sang, un langage, une tradition de foi. La généalogie au début de l’Evangile selon Matthieu le rappelle (Mt 1,1-17). A cette première question, les réponses des disciples renvoient à Jean Baptiste, Élie, Jérémie ou un des prophètes. Bref, on projette sur Jésus des figures d’hommes connus du passé, puissants en paroles et en actes.
Ensuite, Jésus adopte le style direct et interpersonnel: "Qui dites-vous que je suis?" Ici se dévoile l’importance du témoignage. Jésus ne se contente pas de leur demander: "Qui suis-je pour vous?" La plupart des gens parlent de Jésus comme d’un prophète. Ils expriment quelque chose de vrai et de pertinent. Cependant, que peuvent expérimenter de plus et oser proclamer des personnes qui cheminent de près avec Jésus? Pierre prend la parole: "Toi, tu es le Christ (celui qui a reçu l’onction), le Fils de Dieu le Vivant". Pierre perçoit que Jésus est non seulement Fils de l’humain, mais aussi Fils de Dieu avec qui il partage un trait typique: être le vivant qui sort de la banalité ambiante d’une façon déconcertante.
Aussitôt après avoir proclamé qui est Jésus, Pierre reçoit à son tour une triple parole de vérité sur lui-même de la part de Jésus. D’abord, il appelle Pierre "heureux", car il s’est exprimé à partir d’une écoute profonde du Père et pas seulement d’une réflexion isolée ou d’une impulsion collective. Ensuite, Jésus reconnaît qu’il est "caillou" (petros en grec), une pierre qu’on peut tenir en main, et qu’il deviendra "rocher", "une multitude de cailloux" (petra en grec, le collectif de petros), sur lequel Jésus bâtira sa maison, son Eglise. L’étymologie de ce mot en grec signifie "un ensemble de gens appelés". L’appel que Jésus adresse à Pierre devient le signe d’un appel qu’il lance à une multitude.
Enfin, pour veiller à la paix et l’harmonie, une maison a besoin de clés permettant de fermer la porte à ce qui détruit et l’ouvrir à ce qui vivifie. Jésus est l’architecte et le bâtisseur de son Eglise. Pierre a écouté la voix du Père, Dieu le Vivant, et se laisse transformer par Jésus en pierre vivante, en interaction avec une multitude. La déclaration de Pierre à Jésus ne scelle pas l’achèvement d’un apprentissage, mais une étape charnière d’un long parcours. Pierre formulera aussi son incompréhension à Jésus (Mt 16,22) et le reniera (Mt 26,69-75). D’une fois à l’autre, la triple parole de vérité qu’il a reçue de Jésus le relèvera et s’accomplira.