Les cardinaux appelés à élire le prochain pape sont tenus, par serment, de garder le secret le plus absolu par rapport à tout ce qui concerne cette élection. Que ce soit avant, pendant ou après le conclave. Par contre, peuvent-ils se parler de l'élection en cours ? Et éventuellement s'entendre sur le nom d'un candidat ?
On l'a rappelé dans tous les langues, et les cardinaux électeurs l'ont juré en latin en entrant solennellement dans a Chapelle Sixtine ce mercredi : ils sont tenus de garder le secret le plus absolu sur tout ce qui a trait, directement ou indirectement, à l'élection du prochain pape. A noter d'ailleurs que, électeurs ou non, tous les cardinaux qui ont participé aux congrégations générales précédant le conclave ne peuvent non plus dévoiler ce qui s'y est dit concernant la future élection.
Cette règle absolue, dont le non respect entraîne l'excommunication latae sententiae - c'est-à-dire l'exclusion de la communion de l'Eglise par le fait même que l'acte est posé -, est posée par un document qui détermine, dans les moindres détails, tout ce qui a trait à l'organisation et au déroulement du conclave lorsque le Siège de Pierre est vacant. Il s'agit de la Constitution apostolique Universi Dominici gregis, publiée par le pape Jean-Paul II en 1996 et modifiée par un motu proprio de Benoît XVI en 2013.
Coupés du monde extérieur
C'est ce texte qui précise que, pour garantir le secret de l'élection dans toute la mesure su possible, les cardinaux sont littéralement coupés du reste du monde pendant toute la période du conclave. Ils ne peuvent échanger d'aucune manière avec l'extérieur - sauf impérieuse nécessité, dans des conditions précises et validée par une majorité de cardinaux électeurs. Ils ne peuvent ni user de leur téléphone portable, ni s'informer d'aucune façon, ni bien sûr se connecter aux médias sociaux.
Peuvent-ils par contre communiquer avec les quelques personnes qui, pendant les jours de l'élection, sont présentes dans et en dehors de la Chapelle Sixtine (sans bien sûr participer elles-mêmes aux scrutins) ? On pense par exemple au cérémoniaire, mais aussi au cuisinier ou à une aide ménagère ? Là encore, les règles sont strictes et précises : les cardinaux peuvent échanger sur des questions exclusivement pratiques avec les personnes qui ont une fonction directement lié à l'organisation et au déroulement du conclave, et sur rien d'autre. Avec tout autre membre du "personnel" du Vatican, aucun contact verbal ou écrit n'est par contre autorisé.
Les "actes de l'élection" confinés à la Chapelle Sixtine
Une question demeure alors : les cardinaux électeurs ont-ils le droit de se parler entre eux pendant le conclave, que ce soit dans la chapelle Sixtine ou en dehors ? Et surtout : peuvent-ils se parler de l'élection pontificale en cours ? Peuvent-ils s'entendre, s'accorder pour donner leur voix à "leur candidat" ?... Sur ces aspects, Universi Dominici gregis est également strict et précis - tout en laissant cependant une certaine marge d'interprétation.
Notons d'abord que tout ce qui concerne l'élection proprement dite est confinée à la Chapelle Sixtine. Jean-Paul II "décide que tous les actes de l'élection du Souverain Pontife se dérouleront exclusivement dans la Chapelle dite Sixtine du Palais apostolique du Vatican, qui reste donc totalement isolée, jusqu'à ce que l'élection soit accomplie, de manière que soit assuré le secret absolu sur tout ce qui y sera fait ou dit, en rapport d'une manière ou d'une autre, directement ou indirectement, avec l'élection du Souverain Pontife" (UDG 51). Dans la Chapelle Sixtine, les possibilités d'échanges sont cependant limités : ils ne peuvent aborder que des questions de procédures et, après les séances de vote, quittent la chapelle.
Dans les couloirs et les jardins du Vatican...
Mais qu'en est-il entre les scrutins, pendant les repas, lorsque les cardinaux se croisent dans les couloirs de la Résidence Sainte-Marthe ou dans les jardins du Vatican ?... Trois paragraphes de la constitution répondent à cette question. Premier point: "Que les cardinaux électeurs s'abstiennent de toute espèce de pactes, d'accords, de promesses ou d'autres engagements de quelque ordre que ce soit, qui pourraient les contraindre à donner ou à refuser leur vote à un ou à plusieurs candidats. Si ces choses se produisaient de fait, même sous serment, je décrète qu'un tel engagement est nul et non avenu, et que personne n'est obligé de le tenir ; et dès à présent, je frappe d'excommunication latæ sententiæ les transgresseurs de cette interdiction. Cependant, je n'entends pas interdire les échanges d'idées en vue de l'élection, durant la vacance du Siège." (81) En clair : si les cardinaux peuvent échanger à propos de celui ou ceux qu'ils estiment apte à devenir pape, ils ne peuvent en aucune cas conclure des arrangements en vue d'élire le candidat qui emporte leurs faveurs.
Le deuxième paragraphe va dans le même sens : "Pareillement, j'interdis aux Cardinaux d'établir des accords avant l'élection, ou bien de prendre, par une entente commune, des engagements qu'ils s'obligeraient à respecter dans le cas où l'un d'eux accéderait au Pontificat. Si de telles promesses se réalisaient en fait, même par un serment, je les déclare également nulles et non avenues." (82) Dont acte. Une difficulté de taille subsiste cependant : comment vérifier qu'aucun accord de ce genre n'a été conclu dans le plus grand secret ?...
Pour "la gloire de Dieu et le bien de l'Eglise"
Jean-Paul II conclut cette question en indiquant ce qui doit motiver les cardinaux lors d'un conclave : "Avec la même insistance que mes Prédécesseurs, j'exhorte vivement les Cardinaux électeurs à ne pas se laisser guider, dans l'élection du Pontife, par la sympathie ou l'aversion, ou influencer par des faveurs ou par des rapports personnels envers quiconque, ou pousser par l'intervention de personnalités en vue ou de groupes de pression, ou par l'emprise des moyens de communication sociale, par la violence, par la crainte ou par la recherche de popularité. Mais, ayant devant les yeux uniquement la gloire de Dieu et le bien de l'Église, après avoir imploré l'aide divine, qu'ils donnent leur voix à celui qu'ils auront jugé plus capable que les autres, même hors du Collège cardinalice, de gouverner l'Église universelle avec fruit et utilité." (83)
Christophe HERINCKX