Bien sûr qu’un chrétien peut rire !


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Bien sûr qu’un chrétien peut rire !
© Adobe Stock
Par Geneviève IWEINS
Publié le
3 min

Comment les premiers chrétiens se positionnent-ils par rapport au rire? Qu’en est-il du rire dans la Bible? Le dominicain Philippe Henne s’est emparé de ce thème inédit dans son nouveau livre.

Il y a mille façons de rire et différents humours, cela va sans dire. Il y a aussi rires et joies. Les pratiques et perceptions évoluent au cours des siècles, a fortiori dans les différents livres de la Bible. Le dominicain Philippe Henne, spécialiste des premiers siècles de l’Eglise, nous propose un parcours thématique accessible, fouillé et qui surprend bien souvent.

Jésus, source de joie

Rire dans l’Ancien Testament est souvent railleur, méprisant, dominant. A l’opposé, l’explosion de liesse collective lors du Passage de la mer Rouge ou le rire de Sara résonnent d’une joie pleine et entière.
Selon les auteurs, Jésus riait ou ne riait pas: venu pour nous sauver, c’est le Christ lui-même qui est source de joie. Les Ecritures font écho à la joie partagée des repas et des rencontres. Elles soulignent le rire des surprises divines telle celle de la naissance de Jean le Baptiste. Les Evangiles ne rapportent aucun rire de la part de Jésus. Bien au contraire, c’est Lui qui subit des moqueries.

Relevons que trois éclats de joie célèbres de la Bible sont ceux de femmes: Sara, Elisabeth, Marie. Ils sont l’expression de leur merci pour ce cadeau qu’est l’Enfant. Au sein de la société civile, le rire diffère selon le niveau d’éducation. Il est une marque de classe sociale. Aristote méprise la bouffonnerie; il juge utile de rire un peu pour désarçonner l’adversaire. Cicéron est plutôt sarcastique, pince-sans-rire. Dans la littérature chrétienne des écrits intertestamentaires, le rire est plutôt moqueur.

Le sourire éclaire, le rire déforme

Pour le second siècle de notre ère, l’auteur est tout heureux de pouvoir nous présenter Le Pasteur d’Hermas, objet de sa thèse de doctorat: "L’homme gai fait le bien, pense le bien et méprise la tristesse" (Précepte X, 3, 2). La nuance se marque ici pour les siècles: le sourire éclaire le visage, le rire déforme les traits du visage.

Ce qui frappe au IIIe siècle, ce sont les moqueries dont les chrétiens font l’objet d’une part et de l’autre, les rires grossiers sinon obscènes provoqués par les représentations théâtrales.
Les IVe et Ve siècles font l’objet de deux chapitres distincts, l’un pour la littérature grecque, l’autre pour les écrits en latin. Entre humour et contenance, les Pères du désert se montrent plutôt joyeux: "Ne parlez pas de moines qui ne rient jamais. Ils ne sont pas sérieux. (Abba Euloge)." Du côté romain, saint Jérôme pourrait remporter une palme s’il n’était si ironique. Saint Augustin nous fait comprendre que la joie parfaite trouve sa place en Dieu. Saint Benoît inscrit dans sa règle la condamnation des paroles inutiles, de celles qui ont pour seul objet de faire rire: de l’importance du silence et d’une parole offerte.

L'eutrapélie, c'est une question de charité chrétienne

Finalement, un chrétien peut-il rire? Oui! Remercions Salvien de Marseille et surtout saint Thomas d’Aquin qui va souligner l’importance de l’eutrapélie dans sa Somme Théologique (partie Seconda Secundae): il faut encourager la bonne humeur, c’est une question de charité chrétienne. Il y a du plaisir à être ensemble, en fraternité.

L’ouvrage de Philippe Henne se lit avec aisance. Il est augmenté, comme il se doit, d’une bibliographie bien utile car une approche thématique encourage souvent le lecteur à aller plus loin, à progresser. On reconnaît le professeur qui cherche à faire grandir ses lecteurs en leur apportant toute sa connaissance peu commune de patrologue (spécialiste des pères de l’Eglise).

Geneviève IWEINS

Philippe HENNE, Le rire dans la Bible et chez les premiers chrétiens, Ironie, cruauté ou joie de vivre? Editions du Cerf, 2025, 213 pages, 22€.

Catégorie : Culture

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