"Désormais, ce sont des hommes que tu prendras…"
Dans un groupe de catéchèse, un adolescent a lancé un jour que, pour lui, les paroles de Jésus à Simon Pierre puaient la mort. Et il nous a expliqué pourquoi: "Prendre des poissons, les sortir de l’eau, ça va les faire crever. Alors, prendre des hommes…" Rude affirmation qui m’a désarçonné car, de fait, même dans la Bible, l’image d’un filet qui capture des poissons est souvent symbole de menace, de châtiment... J’ai su, plus tard - trop tard! - que les exégètes peuvent libérer de ce malaise. Ils établissent que le mot grec utilisé dans l’évangile trouve sa racine dans le mot "vie". Ce verbe signifie: capturer des poissons pour les placer vivants dans un bassin (un vivier).
Ouf. "Ce sont des hommes que tu prendras…" peut donc légitimement sonner à nos oreilles comme une belle promesse! Ce qui est annoncé, c’est bien qu’en devenant pêcheur d’hommes, Pierre va participer à l’œuvre du Christ, arracher l’humanité des griffes de la mort pour les conduire à la vie.
Pour suggérer la mission de ceux qui le suivraient, Jésus aurait pu, bien sûr, recourir à une autre image que celle de la pêche. Mais appeler des pêcheurs de poissons à devenir pêcheurs d’hommes lui fait souligner une composante fondamentale de toute vocation: elle respecte profondément celui qui va y répondre, sans exiger qu’il devienne un autre. Elle prend en compte son histoire, elle sollicite les goûts, les qualités qu’il possède déjà. En devenant pêcheur d’hommes, Simon Pierre va continuer à mettre en œuvre ce qui lui avait fait choisir le métier qu’il exerce, ce qui faisait de lui un bon professionnel: son endurance physique, sa patience, son sens du travail en équipe, etc… Il n’a pas à changer radicalement. Au contraire, il doit rester lui-même, pleinement lui-même.
Constater que Simon Pierre est appelé à rester radicalement un pêcheur (de poissons ou d’hommes) renvoie chacun à son propre chemin. Si je peux dire: "C’est ma vocation, et j’en suis heureux" - vocation familiale, ecclésiale, professionnelle, citoyenne... - c’est bien lorsque cette vocation sollicite - souvent de manière surprenante, quasi humoristique - des dons manuels, des habitudes prises dès l’enfance, des expériences antérieures, tout ce qui me constitue comme être unique. Oui, c’est mon histoire tout entière que l’appel du Christ sollicite pour son Royaume.
Allons plus loin: acceptons de croire cela, même pour ce qui jette des ombres sur notre histoire. Ce qui relève de nos limites, de nos blessures, de notre péché. Croyons que Dieu, non seulement sait, mais veut "faire avec". Jésus veut faire avec le Pierre d’un petit matin de reniement. Mais écoutons pour nous ce que Jésus dit au Pierre d’un petit matin de pêche miraculeuse. Et puisque la langue française autorise ce calembour, soyons persuadés que le Seigneur appelle, certes, les pauvres pécheurs que nous sommes, mais qu’il s’intéresse, d’abord et surtout, aux bons pêcheurs qu’il voit travailler au bord du lac.

Père Philippe ROBERT, s.j.