« Bien entendu, j’avais conscience des risques que je prenais »: l’ancienne résistante Andrée « Nadine » Dumon est décédée


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« Bien entendu, j’avais conscience des risques que je prenais »: l’ancienne résistante Andrée « Nadine » Dumon est décédée
Andrée Dumon © Christtwice1 CC BY-SA 4.0 Montage CathoBel
Par La rédaction
Publié le
7 min

Le 30 janvier, la résistante Andrée Dumon est décédée à l'âge de 102 ans. Il y a quelques années, nous avions rencontré cette femme qui s'est illustrée dans le réseau Comète durant la Deuxième Guerre mondiale. Elle nous avait partagé son témoignage.

Quand un pays est occupé par un ennemi extérieur, il y a trois attitudes possibles : l’indifférence, la collaboration ou la Résistance. En mai 1940, la jeune Andrée Dumon a choisi son camp, celui de l’armée de l’ombre qui la conduira à la prison puis dans les camps de concentration. Elle a témoigné pour éviter l’oubli de ces années d’obscurantisme.

Entrer en résistance est un choix, voire un devoir quand on est patriote. Le père d'Andrée Dumon fut l’un des plus jeunes volontaires durant la Première Guerre mondiale qu’il acheva dans l’Est africain. "On tenait très fort à la liberté dans ma famille, renchérit notre interlocutrice. Lorsque que j’étais à l’athénée d’Uccle dans les années trente, on parlait encore des 'Boches' alors que je pensais, peut-être naïvement, qu’il fallait être tous frères. Mais mon attitude a changé lorsque les Nazis ont envahi en 1939 la Pologne. Cela a entraîné la déclaration de guerre des Français et des Anglais aux Allemands, suivie de la 'drôle de Guerre', puis de l'invasion des Pays-Bas, du Luxembourg, de la Belgique et de la France en mai 1940. Je me souviens très bien de l’annonce faite à la radio par Théo Fleischman annonçant l’agression dont était victime notre pays, ponctuée par des centaines d’avions qui virevoltaient dans un ciel azur."

Premier acte posé par Andrée Dumon : le découpage dans les journaux des lettres V (pour Victoire) qu’elle éparpilla le long des rues proches de l’actuelle avenue Franklin Roosevelt à Bruxelles. Six mois après, on en retrouvait encore dans les rigoles.

Le silence avant tout

Question délicate : qu’a ressenti notre résistante lors de l’abdication de Léopold III ? Elle nous répond sans ambages que c’était une "trahison". "J’en ai d’ailleurs fait part un jour au prince Philippe. Au contraire de mon fils, qui fut son caddy au golf, je n’ai jamais rencontré le roi Léopold III et je n’ai jamais cherché à le rencontrer. Par contre, j’ai eu une longue conversation avec le régent, le prince Charles qui, par sa présence en Belgique, a certainement sauvé la dynastie."

Quand on est dans la Résistance, il faut se méfier de tout le monde et s’interdire de parler de son activité, même avec ses amis les plus proches. Les hommes, d’après Andrée Dumon, sont plus bavards et plus vantards. Leur côté "macho" refait vite surface. "J’ai été trahie, poursuit-elle, par un homme de mon réseau dont le fils avait été arrêté. Avait-on exercé sur lui une forme de chantage ? En tout cas, il n’avait pas été torturé et j’ai beaucoup souffert de le revoir après la guerre lorsqu’il fut jugé par un tribunal."

Le 4 octobre 2018, Andrée Dumon était l'invitée de Jean-Jacques Durré et Hervé Gérard pour l'émission En Débat.

Au cœur du réseau Comète

Mais n’anticipons pas. Andrée Dumon porta dans la résistance le prénom de Nadine pour éviter qu’elle soit confondue avec Andrée De Jongh, la co-fondatrice ô combien courageuse du réseau Comète. Ce dernier exfiltrait de Belgique les aviateurs alliés qui avaient été abattus; ils étaient convoyés jusqu’aux Pyrénées, pour ensuite rejoindre l’Angleterre via le Portugal. Nadine travaille d’abord avec le réseau Luc-Marc pour ensuite rejoindre Comète. Elle commença par transporter de l’argent qu’elle allait chercher chez un assureur à Bruxelles, et effectua ensuite sa première mission en accompagnant deux soldats – des mineurs – qui avaient rejoint la Belgique dissimulés sous un tas de charbon ! Nadine se souvient avec émotion de sa première rencontre avec Dédée (Andrée De Jongh, NDLR) : "Je l’ai rencontrée pour la première fois à Valenciennes à son retour de Paris. C’était une femme très élégante et la sympathie fut immédiatement réciproque tant et si bien qu’elle me proposa de l’accompagner lors d’un de ses prochains convoyages. Mais elle ne put tenir sa promesse car elle fut entre-temps arrêtée."

A lire : Andrée de Jongh, la co-fondatrice du réseau Comète

Le danger était de tous les instants. Il fallait se montrer extrêmement prudent. Il y eut bien ce "sorry" lancé par un aviateur anglais mais qui demeura sans conséquence. Il était interdit aux évadés de parler dans le train et quand quelqu'un leur adressait la parole, Nadine répondait à leur place prétextant qu’ils étaient trop fatigués pour qu’ils s’expriment. Elle voyageait toujours en troisième classe, qu’elle pensait être moins surveillée, ce qui provoqua la colère d’un pilote américain, un gosse de riches, qui ne comprenait qu’on n’ait pas les moyens de lui payer une première ! Une autre fois, elle fut confrontée à des "Smokelaars", des petits trafiquants qui, ce jour-là, transportaient des sacs de farine qu'ils balancèrent hors du wagon sans doute à des complices, en vue de Paris. Ils avaient tenté en vain d’adresser la parole aux "compagnons de voyage" de notre résistante. Autre moment difficile, lorsqu’elle fut invitée à prendre place dans un compartiment aux côtés de cinq Allemands, au demeurant fort polis, alors qu’elle transportait dans le fond de sa valise des documents importants. "A la frontière, au douanier qui demandait s’il n’y avait rien à déclarer, l’Allemand qui parlait bien français signala la présence de mon bagage. Je sortis donc dans le couloir pour l’ouvrir et quand le douanier me questionna sur la présence des documents, je lui répondis tout simplement : ’C’est pour l’autre côté’ et le fonctionnaire ferma les yeux."

Consciente des risques

Mais la plus grosse frayeur, elle l’a vécue à Bruxelles lorsque son vélo fut tamponné par une voiture dans laquelle se trouvaient deux Allemands. Dans la valisette qu’elle emportait avec elle, là aussi des documents compromettants étaient destinés à Londres. Projetée à terre, elle fut aussitôt relevée par les responsables de l’accident qui insistèrent pour la ramener chez elle non sans offrir un pain, déposer et payer la réparation du vélo. Ce qui fut fait sans autre conséquence qu’une énorme peur. "Rentrée chez moi, j’ai fondu en larmes dans les bras de maman, j’avais un fameux contrecoup."

Andrée Dumon avait-elle conscience des risques qu’elle prenait ? "Mais bien entendu, avec cette question qui me taraudait : quand sera-ce mon tour ?" Nadine ne croyait pas si bien dire car elle fut à son tour arrêtée avec son père et sa mère et envoyée à la prison de Saint-Gilles avec des effets pour deux ou trois jours. Elle fut interrogée à plusieurs reprises au siège de la police allemande, rue Traversière à Bruxelles. "Je répétais inlassablement à mes geôliers que j’ignorais tout alors qu’ils prétendaient qu’ils savaient, à quoi je leur rétorquais qu’il était alors bien inutile de me questionner. On me confronta aussi au traître qui m’avait vendue aux Allemands et qui leur déballa tout ce qu’il savait. Il me fallait inventer une histoire pour le prochain interrogatoire. C’est ainsi que j’ai raconté qu’un Monsieur René m’amenait place Rogier près de la Gare du Nord auprès de pilotes pour que je les convoie jusqu’à Paris où venait les prendre en charge un Monsieur Victor. Tout ceci n’était évidemment que pure invention mais m’a permis de gagner du temps."

Ne jamais oublier !

Andrée Dumon ne sera pas torturée mais déportée au camp de concentration de Ravensbrück puis de Mauthausen, avant d’être libérée saine et sauve. Elle se souvient encore de l’accueil désastreux qui sera réservé aux déportés lors de leur retour via la Gare du Nord : examinés à la vue de tout le monde en file indienne devant quatre médecins, sans même une chaise pour s’asseoir !

Et quand on lui demande pourquoi elle a mis tant de temps pour exprimer son terrible vécu, elle répond : "Au début je n’avais pas envie de parler et mon mari ne m’y encourageait pas. Je voulais préserver avant tout ma vie de famille jusqu’au jour, bien longtemps après, où l'on m'a invitée à écrire mon histoire, ce que j’ai fait."

Mais qui est le "Vous" dans le titre de ses Mémoires intitulés Je ne vous ai pas oubliés ? "Ce sont tout simplement mes compagnons de lutte. Et si j’avais un message à faire passer aux jeunes générations, je les inviterais à découvrir tout ce que leurs aînés ont fait pour la défense de notre liberté, dans l’espoir qu’ils feraient la même chose si elle était à nouveau menacée."

Hervé GÉRARD

Andrée Dumon, Je ne vous ai pas oubliés. Mols, 2018, 240 p.

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