Après la dictature de la famille Assad, les Syriens sont aujourd’hui dirigés par des islamistes. Un régime qui n’est pas sans risques, notamment pour les chrétiens. L’abbé Thomas-Dibo Habbabé, curé de la communauté syriaque catholique d’Antioche (Malines-Bruxelles), suit la situation de près. Avec des sentiments mélangés.
S’exprimer par écrit est peut-être une opportunité d’agir, mais c’est aussi sans doute une autothérapie. Alors que j’étais en Belgique depuis trois ans, en pleines études universitaires, la Syrie, a fait, en 2011, la une de terribles actualités. Certains spécialistes ont même qualifié la question syrienne contemporaine comme le plus grand drame humain après la Deuxième Guerre mondiale.
L’une des pires dictatures de l’humanité
Si le sujet a ensuite été éclipsé par l’émergence d’autres urgences internationales (pandémie, guerre en Ukraine, guerre à Gaza), il est récemment redevenu un sujet d’actualité majeur avec la chute du régime de la famille Assad et la fuite honteuse du président.
Le peuple syrien a subi l’une des pires dictatures que l’humanité ait connue: 61 ans de règne du parti unique Baas incluant 54 ans de la tyrannie des Assad, père et fils. Souvent, la fin des dictatures s’enlise dans des tortures effrayantes. Mais pour le régime Assad, il a fallu 14 années de guerre civile et de conflits atroces: au moins un demi-million de morts, des milliers de disparus dont une dizaine de prêtres et deux archevêques, 13 millions de réfugiés et déplacés dans le monde entier, la destruction absolue du pays, une pénurie de tout et une pauvreté généralisée à 90% de la population.
Des sentiments partagés
Bien qu’elle était prévisible, la chute rapide du régime Assad a été un grand choc, mêlé à des sentiments contradictoires: joie et soulagement de se débarrasser de ce régime brutal, injuste et corrompu; abattement pour toutes ces années de guerre et de tragédies humaines; peur de l’avenir incertain et du chaos causé par le vide; et grande inquiétude en raison de la victoire d’un mouvement ouvertement islamiste ayant un passé terroriste de renommée internationale.
Certes, les Syriens eux-mêmes, et surtout beaucoup de pays voisins ou lointains, sont acteurs de cette guerre syrienne. Cependant, le régime déchu porte la plus grande responsabilité de l’enfer qu’est devenue la Syrie. Le risque du chaos actuel et l’arrivée des islamistes sont le fruit de ce régime qui a manqué les multiples occasions internationales de transition pacifique du pouvoir. Seule une idéologie forte et radicale, à savoir le fanatisme islamique, a pu résister à l’intransigeance de ce régime soutenu principalement par la Russie et l’Iran. Durant un demi-siècle, ce système politique a détruit l’humanité des Syriens par ses oppressions, la division confessionnelle de la société, et le contrôle total de tous les aspects de la vie des gens.
Parce qu’elle est une femme !
Même si la presse n’a pas qualifié ce qui s’est passé fin 2024 de coup d’Etat, les nouveaux "dirigeants" islamistes du pays en ont bien réalisé un, sans aucune démarche constitutionnelle. Ainsi, je m’étonne de voir Ahmad Al-Charaa, ancien combattant de Daech, plus tard un chef de la filiale d’al-Qaïda devenu ensuite HTC, s’attribuer le Palais présidentiel.
Malgré plusieurs déclarations d’ouverture, de respect et d’inclusion de toutes les composantes ethniques, culturelles et religieuses assez diverses du peuple syrien, il n’a pas voulu serrer la main d’Annalena Baerbock, ministre allemande des Affaires étrangères, parce qu’elle est une femme! Les épisodes de vol, le désordre sécuritaire et les enlèvements sont devenus quotidiens. Quelques épisodes d’attaques terroristes et de christianophobie se produisent aussi: fusillades dans des églises, imposition de Hijab…
Même des sapins de Noël ont été brûlés!
Je tiens ces informations des membres de ma famille et des prêtres restés au pays. En même temps, je note aussi quelques signes rassurants: la volonté relative de sauvegarder les institutions étatiques et la supervision régionale et internationale de l’ONU et des pays occidentaux me donnent l’espoir de limiter la tentation islamiste d’instaurer la Charia. Cette loi islamique médiévale n’apporte aucune réponse pour la vie au XXIe siècle. En outre, j’ai grand espoir que la grande majorité des Syriens musulmans ne veuillent plus vivre sous une théocratie islamiste et qu’ils sont assoiffés de liberté.
De vrais disciples du Christ
Aujourd’hui, les Eglises bimillénaires de Syrie, devenues des minorités très affaiblies, se sentent accablées et abattues. Après ces longues années de souffrance, le remplacement d’une dictature par une autre, telle que le règne de la Charia, c’en est trop. Beaucoup de personnes sont découragées et envisagent une seule solution: le départ.
Il n’empêche que l’espérance est la vertu par excellence de la foi chrétienne. Le pape François a bien choisi ce thème pour le jubilé 2025, sentant, comme il l’a lui-même expliqué, que notre monde actuel en a vraiment besoin. Malgré un avenir inconnu qui s’annonce très difficile, les citoyens chrétiens de Syrie sont appelés à jouer leur grand rôle de pionniers de l’éducation, de ponts de dialogue entre un Orient musulman et un Occident laïc et de vrais acteurs de paix et de réconciliation. En d’autres termes: être de vrais disciples de Jésus-Christ.
Abbé Thomas-Dibo HABBABÉ
Titre et intertitres de la rédaction