« Aujourd’hui je re-commence » : les vœux de Colette Nys-Mazure


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« Aujourd’hui je re-commence » : les vœux de Colette Nys-Mazure
Par Colette Nys-Mazure
Publié le
4 min

L’année 2025 prend son rythme de croisière. Nous avons lessivé la nappe des fêtes, emballé les décorations du sapin et les santons de la crèche. Nous éprouvons le passage du temps entre aise et malaise.

Ne pas déplorer l’insomnie mais me lever, descendre et lire, poursuivre la correspondance de saison ou ranger le séjour sans faire de bruit afin de ne réveiller personne. D’abord saluer en pensée ceux et celles, parmi les voisins immédiats, dont je repère une lampe allumée. Je ne suis pas seule! D’autres traversent leur nuit et veillent aussi bon gré, mal gré.

Je ressens la même complicité silencieuse lorsque tôt matin l’hiver, je pars à pied vers un rendez-vous en identifiant derrière les fenêtres éclairées les mouvements révélateurs: la maison s’animant avant l’école et l’éparpillement des uns et des autres… Même si je ne croise encore personne, n’était les yeux rouges d’une voiture filant vers le travail, je ressens cette forme modeste et clandestine de communion des saints que nous ne sommes pas; fourmilière humaine qui se met à l’œuvre en secrète connivence.

Je n’idéalise pas car je devine qu’il n’y a pas que des entrées en matière allègres: ici, on guette l’infirmier pour la toilette; là, le kiné requis après une prothèse de genou; de cet appartement jaillissent d’âpres cris de colère. Tandis que hurle une ambulance, je me souviens de Marie Noël, dans ses Notes intimes, passant en train le soir, enviant ces demeures illuminées, imaginant la chaleur familiale qu’elle, la célibataire contre son gré, n’a pu que désirer mais sachant bien que tout n’est pas au mieux: la lucidité et la tendre compassion prenant le relais du rêve.

Le jour charnière, le premier de l’an neuf où tout semble possible, s’éloigne déjà. Je me répète tel un mantra les vers de Guillevic dans son Art poétique: En ce jour de l’an/Je sens le temps/Tailler ces crayons/Pour quel usage? Et dans le sillage Si je n’écris pas ce matin/Je n’en saurai pas davantage/Je ne saurai rien/De ce que je peux être puis élargissant le sillage fécond C’est quand tu chantes pour toi/Que tu ouvres pour les autres/L’espace qu’ils désirent.

Me voici bien éveillée et allante plutôt que frôlée, voire écrasée par l’à quoi bon dévastateur en ces temps de chaos mondial et de fatigue de l’âge. C’est le moment de reprendre de la hauteur, ne serait-ce que me redresser, savourer les gestes rituels propres à chacune et chacun pour aborder le jour avant d’aller à la rencontre des visages et des paysages, les familiers et les inconnus, les imprévisibles. Espérer la sève printanière.

Ce jour de l’an que nous avons sacralisé, le fêtant à coup de champagne, de baisers et vœux échangés à cette frontière invisible mais sonore du réveillon, n’est jamais que le un des 365 jours à vivre; c’est à chaque aube le premier et peut-être le dernier de mon existence. Ce provisoire confère au présent une valeur indéniable que nous, les distraits, les si souvent absents à nous-mêmes – avant de l’être aux autres –, nous négligeons scandaleusement.

Chaque premier janvier je me promets de ne pas oublier cette évidence, mais j’entre en tentation et je succombe, lentement rattrapée par la poussière de l’usage, de l’usure. Pourquoi l’ardeur du neuf s’enlise-t-elle si aisément dans la routine? Je ferais mieux de retourner à l’Evangile où reviennent les injonctions N’ayez pas peur, Ne craignez rien, Je suis là. Veillez et priez.

Allons! aujourd’hui je commence, je recommence, le nez à la fenêtre ou dans le sentier vers le ruisseau où l’eau coule, sans cesse autre. Le présocratique grec Héraclite d’Ephèse nous a rappelé son mouvement perpétuel, tant extérieur qu’intérieur: On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. C’est lui aussi qui observe: Sans l’espérance, vous ne rencontrerez jamais l’inespéré. J’avais découvert et incorporé cette citation placée en exergue de Spirale, le mince ouvrage d’un genre indéfinissable d’Anne Philipe. Nos voies singulières jalonnées de galets qu’en reconnaissance nous ramassons pour les glisser, les passer en d’autres mains.

Colette Nys-Mazure
Poète, essayiste et nouvelliste

Catégorie : Opinions

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