C’est l’histoire d’un coup de foudre pour un lieu, l’abbaye de Maredsous et la superbe vallée dans laquelle elle est nichée. Coup de foudre encore pour une communauté. Le père François Lear est moine depuis 42 ans dans cette communauté bénédictine qu’il décrit comme active, vivante, ouverte d’esprit. A 62 ans, il vient d’être élu Père Abbé et succède ainsi au père Bernard Lorent appelé à une autre mission. Ce vendredi, le père François a reçu, avec beaucoup d’émotion et dans la simplicité, la bénédiction abbatiale.
Sur la longue table de son bureau, des questions d’examen… « Je n’aurai pas le temps de corriger les copies » lance le père François Lear, une pointe de regret dans la voix. Son métier de professeur de religion au collège Saint-Benoît qui jouxte l’abbaye il l’a exercé pendant 20 ans avec passion. Avec ses nouvelles responsabilités, il a dû faire un choix. La mission de Père Abbé est lourde d’autant que, dans beaucoup de domaines, l’abbaye se doit de prendre des virages importants quant à son avenir. Le nouveau Père Abbé en est bien conscient, il sait aussi que la communauté compte sur lui, sur sa présence régulière. Conscient mais aussi un rien stressé par ce qui l’attend… Lorsqu’il termine une conversation téléphonique, il n’hésite pas à demander à son interlocuteur, en toute simplicité : « Priez pour moi. »
Cette élection a eu lieu le 19 décembre dernier suite au départ du Père Abbé Bernard Lorent. Celui-ci exercera, à partir de ce 1er janvier 2025, les fonctions de président de l’AIM (Alliance Inter-Monastères) qui regroupe dans une bonne partie du monde, les abbayes de l’Ordre Bénédictin, de l’Ordre Cistercien et de l’Ordre Cistercien de la commune observance. Il aura pour mission de veiller au développement de projets communs dans la formation, l’éducation permanente…
La communauté choisit son Père Abbé lors d’élections. Quinze moines votaient et le futur élu se doit de récolter 2/3 des voix. C’est le nom du père François Lear qui est sorti le plus souvent de l’urne. Alors que l’élection du nouveau Père Abbé était saluée, comme le veut la tradition, par les cloches. Elles ont sonné toutes -sans oublier le bourdon, la plus imposante, celle qui annonce les événements- à toute volée, le père François répétait : « Je n’avais aucune chance et d’ailleurs je ne souhaitais pas devenir père abbé. » Au fil des heures, il s’est remis de ses émotions : « Je vois mon mandat comme un service à la communauté qui m’a donné sa confiance. Je suis convaincu que c’est la communauté qui fait son père abbé. »
Du Texas à Maredsous en passant par Bruxelles
Le nouveau Père Abbé est originaire des Etats-Unis, du Texas plus exactement. Il est arrivé en Belgique à l’âge de 15 ans. « Je me sens totalement belge. Faute de l’avoir pratiquée, je ne parle même plus la langue. » Il n’est plus jamais retourné au pays des cow-boys : « Je suis comme le bon vin, je ne supporte pas les voyages ! » Elevé par ses grands-parents, il vit à Bruxelles avant de partir à l’Université Catholique de Lille pour étudier la philosophie et la théologie. Il savait qu’il vouerait sa vie à Dieu. « Lorsque j’ai annoncé la nouvelle, on ne peut pas dire que ma grand-mère ait été très heureuse. Je pense bien qu’elle craignait de me perdre. Il n’en a rien été. Ma famille était chrétienne mais guère pratiquante. Elle était déjà comme beaucoup de chrétiens d’aujourd’hui. On imaginait que je prendrais la suite de mon grand-père agent de change… »
Le jeune homme visite plusieurs abbayes s’il ne craint pas la solitude, il aime la vie bien réglée entre les temps de prière, les offices, le travail. « J’admire les prêtres diocésains qui, après une journée de travail, alors qu’ils sont seuls dans leur presbytère, trouvent encore l’énergie pour lire le bréviaire. Ici, tout est organisé. Même si je ne suis pas très motivé pour un office, je sais que je vais retrouver les autres moines. Et ça fait la différence… »
Son périple des abbayes passe par Maredsous, c’est le coup de foudre. « J’ai eu un coup de cœur pour le lieu comme pour la communauté » souligne le père François. Le Père-maître le fera patienter, comme il le fait avec tous les candidats. « Il faut éprouver la vocation, faire attendre le futur moine… » Il est entré à l’abbaye le même jour juste quelques minutes avant celui qui allait le précéder comme Père Abbé, le père Bernard Lorent. En 2001, Mgr Léonard l’ordonnait prêtre.
Pas trois mais quatre vœux
Ils sont actuellement dix-huit moines à Maredsous. Il faut ajouter cinq moines rwandais qui étudient au Grand Séminaire Francophone de Belgique. Une fois leur formation terminée, ils retourneront au pays. Un monastère qui, suite au génocide, avait été bien malmené. Le Père Abbé Bernard est allé, à de nombreuses reprises, sur place et s’y est énormément investi. Aujourd’hui, la communauté est autonome et accueille de nouveaux moines. Des moines à Maredsous comme au Rwanda qui ont fait vœux de pauvreté, d’obéissance et de chasteté. « Nous, souligne le nouveau Père Abbé, nous prononçons un quatrième vœu, celui de stabilité : nous ne nous engageons pas pour un ordre mais pour une communauté. »
Une communauté qui n’accueille, actuellement, pas de novices. Même s’il s’en désole, le père François n’est pas pour autant foncièrement inquiet. « J’espère que Dieu me fera cette grâce. La dernière profession monastique a eu lieu, il y a 19 ans. »
S’il renonce à ses fonctions de professeur de religion et d’aumônier du collège Saint-Benoît, il a choisi de continuer à préparer les couples au mariage religieux. Il s’est formé pour cela. Au plus grand étonnement des membres de la communauté qui se demandaient bien pourquoi le père Lear faisait ce choix. Et le père Lear d’y aller d’une réponse laconique : « ce cours existe, je vais le suivre ! » Depuis quelques années maintenant, avec un couple de laïcs, il est présent pour la préparation des futurs mariés. Et il compte bien poursuivre, une manière d’être en contact avec la vie, avec ses réalités, avec ses joies et ses difficultés. « Et puis c’est un service que je rends au diocèse. Je suis prêt aussi, si l’évêque me le demande, à aller confirmer dans le diocèse.
Maredsous est encore un haut lieu du tourisme avec un secteur Horeca bien implanté, avec une fromagerie… Si le père François connaît les différents secteurs c’est d’en avoir parlé avec le père Bernard Lorent. « Sans le savoir, il m’a donné des informations, m’a fait des recommandations qui seront bien utiles. » Un directeur général va prendre ses fonctions tout prochainement. Le Père Lear : « Ce n’est pas parce qu’on est moine et prêtre que nous avons reçu tous les dons de l’Esprit Saint. Il fallait trouver la bonne personne. »
Ce tourisme familial qui fréquente Maredsous, le nouveau Père Abbé l’aime beaucoup. Les enfants peuvent aller à la plaine de jeux. Les familles ne doivent pas aller au restaurant, elles peuvent manger, sur place, leur pique-nique. « J’en vois qui lors d’une promenade passent par l’abbatiale. Beaucoup y entrent et qui peut me dire qu’ils ne prient pas. » Un tourisme qu’il faudra repenser pour qu’il corresponde à la réalité. Il s’agira aussi de repenser le bâtiment qui accueille la communauté. Les bâtiments doivent eux aussi être adaptés à la taille de la communauté. Des dossiers importants s’annoncent donc…
Les moments de détente sont rares pour le moine. Mais il y a les incontournables. Le père François ne résiste pas à regarder un film. « Un bon film » comme il précise qui a été recommandé par les critiques. Lorsqu’il regarde un film, Choupinette n’est jamais très loin. Amoureux des chats depuis toujours, Choupinette vit dans la chambre et le bureau de son propriétaire. De temps en temps, elle s’offre une petite sortie dans le couloir… Lève tôt, le père François part chaque matin pour une longue promenade avant les laudes. « Cette région est très belle qu’importe les saisons. Au printemps comme en été, je suis accompagné par le chant des oiseaux. Actuellement, ma promenade se fait dans le noir et en silence. C’est un temps pour moi. Non, c’est un temps pour Dieu avec moi. »
Christine Bolinne