Rude lecture pour nos premiers pas sur le chemin de l’Avent! Accepterons-nous de nous laisser ébranler par ses redoutables prédictions? Il le faudrait, tant son enseignement nous convie (sans ménagement, certes...) à une opération-vérité que le mot Salut suggère de lui-même: attendre un Sauveur sous-entend se considérer sans lui comme perdu. "Les hommes mourront de peur... les nations seront affolées et désemparées..." Autant d’annonces que le monde tel que nous le connaissons court à sa perte. "Votre rédemption approche…". Joie! Mais prenons les mots au sérieux: si Jésus vient nous racheter (ce que dit le mot Rédempteur), c’est que notre humanité connaît l’esclavage.
Cela dit, il faut bien le reconnaître, à la fin du IIe millénaire, cette conviction ne semblait plus guère travailler nos cultures. Au long des siècles, chaque génération humaine avait franchi tant de limites que les générations précédentes estimaient aussi infranchissables que terrifiantes; l’humanité s’était montrée si puissante contre les maladies, si efficace contre les forces naturelles, jusqu’à les mettre à son service… En de multiples domaines, l’homme a pu se croire le maître, ou en passe de le devenir. Les fameux progrès de la science, de la médecine, de la technologie - des progrès qu’on annonçait exponentiels… Quel besoin d’un Sauveur, si l’homme, par lui-même, parvient peu à peu à dominer ce qui lui résiste?
Au XXIe siècle, c’est vrai, notre vision de l’Histoire se fait moins confiante. Désillusionnée, alarmiste même, avec les craintes légitimes suscitées par l’écologie. Mais lorsque scientifiques et médias lancent un cri d’alarme: "Le monde court à sa perte!", ce qu’on entend de toute part, avec des appels vibrants à la sagesse, à la modération, c’est: "Sauvons la planète!". Oui, même si l’homme moderne se découvre menacé mortellement, même s’il a la lucidité de se considérer comme perdu, il ne reconnaît pas pour autant avoir besoin d’un sauveur, il se donne pour mission de se sauver soi-même…
Dès lors, en ce premier jour de l’Avent, pour nous mettre vraiment en route, nous avons grand besoin d’un rappel à l’ordre des choses: si Dieu a promis de venir parmi nous, c’est bien que, sans lui, nous serions perdus. Dur, humiliant à entendre. Mais nous accueillerons réellement l’espérance de Noël, nous en savourerons toute la portée, dans la mesure où nous accueillerons lucidement, humblement, la vérité de la misère de l’homme, de l’esclave à bout de force, c'est à dire de l’homme perdu. Cette vérité est, bien sûr, la source de toutes nos angoisses, de nos peurs. Pourtant, n’essayons pas vainement de la fuir, restons éveillés face à elle. C’est à cela que nous sommes invités aujourd’hui par les paroles rudes du Seigneur. Aux portes de l’Avent - qui proclamera aussi la douceur de Dieu! - cette rudesse décourage notre sensiblerie, en signe vigoureux du Sauveur auquel aspire notre humanité, du plus profond d’elle-même. Là où s’affrontent peurs paniques et goût de vivre.
Père Philippe ROBERT, s.j.