Ce dimanche, l’Eglise catholique en Belgique a organisé une célébration de prière nationale en mémoire des victimes d’abus sexuels.
La date du 18 novembre a été choisie par les Nations-Unies pour être la Journée mondiale pour la prévention et la guérison de l’exploitation, des atteintes et des violences sexuelles visant les enfants.
La veille, le dimanche 17 novembre, l'Église catholique en Belgique a elle aussi commémoré les survivants d'abus sexuels, lors d'une cérémonie de prière nationale organisée à la basilique de Koekelberg et présidée par Mgr Luc Terlinden.
Plusieurs aveux de culpabilité ont été exprimés, ainsi que des prières à l'intention des victimes d'abus. Deux de ces victimes ont également pris la parole au cours de la cérémonie. L’archevêque de Malines-Bruxelles a lui consacré son homélie au thème de la « vulnérabilité ».
Jésus a mis en lumière la vulnérabilité de l'enfant
"Nous savons tous, et certains d'entre nous en ont fait l'expérience douloureuse, qu'un enfant est vulnérable" déclare Mgr Luc Terlinden, en ouverture de son homélie. "C'est vrai aujourd'hui, et ce l'était encore plus à l'époque de Jésus, car dans l'Antiquité romaine, un enfant n'avait pas de statut social et ne comptait pas aux yeux de la société."
Pourtant, déjà à l'époque, Jésus s'identifie aux enfants vulnérables. "Quiconque reçoit en mon nom ce petit enfant me reçoit moi-même (Matthieu 18:5)" cite l'archevêque de Malines-Bruxelles. "En plaçant cet enfant au centre de l’attention, Jésus met en lumière l’un des êtres les plus vulnérables. Mais il va encore plus loin : il s’identifie à cet enfant et se révèle lui-même vulnérable, comme il le fera de manière ultime sur la croix".
Mettre le sujet de la vulnérabilité au coeur des préoccupations
Mgr Terlinden insiste sur la nécessité, encore aujourd’hui, de faire de la vulnérabilité une priorité. "Lorsque la vulnérabilité est mal comprise et qu'un sentiment de toute-puissance prévaut, la porte aux abus est ouverte. C'est ce qui s'est également produit dans notre Église. Cela a conduit aux formes les plus odieuses d'abus commis par des ecclésiastiques et d'autres responsables. Ceci est notre honte et notre humiliation."
"Ce sentiment de toute-puissance" poursuit-il "se manifeste aussi dans l’attitude des dirigeants lorsque, par souci de protéger la réputation de l’institution ou de préserver ses structures, les responsables minimisent ou dissimulent la réalité tragique des abus. Trop souvent, l’Église et ses dirigeants n’ont pas été à la hauteur des drames vécus, et ont parfois même couvert les actes les plus odieux."
La vulnérabilité nous rend plus forts
Pour Mgr Terlinden, Jésus nous montre la voie pour sortir de ce cercle vicieux de la toute-puissance et de l'abus : reconnaître en l’autre et en moi-même la part de vulnérabilité, dans une écoute respectueuse. "Je ne suis pas tout-puissant, j'ai moi aussi ma propre vulnérabilité. En la reconnaissant, je peux m'ouvrir à la vulnérabilité et à la souffrance de l'autre. Plus encore, en l'écoutant, je découvre ma propre vulnérabilité et je deviens plus humain".
Le primat de Belgique assure que faire part de ses vulnérabilités, "cela nous rend véritablement plus forts". "Cette force, c’est aussi celle que le Christ a trouvée dans sa vulnérabilité la plus extrême, sur la croix. Là où la faiblesse semblait triompher, elle est devenue sa force : la puissance de résurrection à l’œuvre. Pour lui, et pour ceux qui mettent leur foi en lui, la croix du Christ est l’échelle qui conduit au ciel, pour reprendre l’image de l’œuvre qu’Anne-Sophie Cardinal nous offre" (voir ci-dessous).
Les enfants de la Lumière
Deux survivants d’abus dans l’Église prennent ensuite la parole. Le premier, souhaitant garder l’anonymat, partage une réflexion sur le thème de la lumière et des ténèbres, lue en son nom.
"Les ténèbres ont reçu des mains, une tête et un pouvoir terrible. Un pouvoir mental, un pouvoir physique, un pouvoir spirituel. Personne n'a vu ce qui s'est passé. Ou bien chacun a fermé ses yeux et son cœur. Et nous : blottis dans la peur. Remplis de méfiance. Seuls, sans mots. L'endroit le plus profond et le plus sacré de notre être a été touché et blessé. La maltraitance dure toute une vie. Ils guérissent un peu. Mais jamais complètement. Nous sommes des enfants de la lumière. Nous voulons vivre dans la lumière. La lumière, c'est quand on parle de ce qui n'a pas été de l'amour, plutôt que se taire. La lumière, c'est lorsque l'Église regrette ce qui nous a été fait et demande pardon. La lumière, c'est quand la justice est rendue. La lumière, c'est quand les chrétiens commencent à faire les choix du Christ".
Une échelle vers la Lumière
Puis, une autre survivante, Anne-Sophie Cardinal, s’avance à son tour pour partager un témoignage poignant :
"Je commencerai ce témoignage par une question : comment ça va aujourd’hui ? Cette simple question, j’aurais aimé qu’on me la pose quand j’étais enfant. Pas un « comment ça va » déjà tourné vers un autre sujet de conversation mais un vrai « comment vas-tu ? ». Un « comment vas-tu » qui prend le temps de s’interroger soi-même dans le regard de l’autre et qui laisse le temps à la réponse. J’aurais alors peut-être pu parler, raconter, avertir. Mais à l’époque, personne n’est venu, personne n’a pris le temps de voir, d’entendre, de sentir la détresse de l’enfant qu’on mettait à mort semaine après semaine."
Celle qui a rencontré le Pape en septembre dernier, aux côtés d'autres victimes d'abus, explique qu’elle refuse de se tromper d’adversaire : "Que l’on soit abusé ou même abuseur, l’ennemi commun, ce n’est pas l’Eglise, c’est le mal qui nous tire vers le bas et qui empêche la véritable justice."
Heureusement, poursuit-elle, il y a ceux qui décident de tendre la main : "Il y a ceux qui placent dans cette mer de boue une échelle pour vous sortir de là. Un appui grâce auquel nous allons pouvoir nous hisser et enfin, respirer et vivre". Pour rendre tangible son message, cette survivante a conçu une œuvre d’art : une échelle entourée de chaînes, symbolisant le passage de la mort à la vie.
👉 Retrouvez ici l'intégralité du témoignage d'Anne-Sophie Cardinal
La cérémonie de prière à la basilique de Koekelberg s'est achevée par une veillée silencieuse d'une minute devant la statue « Esse Est Percipi » d'Ingrid Rosschaert, qui a été dévoilée à la basilique au printemps 2017 en mémoire des victimes d'abus sexuels dans l'Église.
D'autres cérémonies ailleurs en Belgique
Des cérémonies similaires ont aussi eu lieu dans les cathédrales de Bruges et de Tournai ce même dimanche, présidées respectivement par Mgr Aerts et Mgr Harpigny. Ce dernier, après l'eucharistie, a dévoilé une œuvre réalisée par une victime. Elle est installée dans la chapelle Saint-Louis et y restera comme un symbole commémoratif.
Par ailleurs, un mémorial aux victimes d’abus sexuels a été érigé dans le jardin de l’église Saint-Pierre à Sint-Pieters-Leeuw à l’initiative de la communauté ecclésiale locale et des autorités civiles. Il a été inauguré le 16 novembre par une victime, le bourgmestre Jan Desmeth et l’archevêque Luc Terlinden.
Clément LALOYAUX avec Geert DE KERPEL