Si l’Eglise impose un cadre rigide, fait de devoirs et d’interdits, elle enseigne aussi le message de Jésus qui dit que l’Amour prime toujours. Pour Lucy Schartz et Lionel Jonkers, professeurs de religion catholique, le pape ne doit donc pas choisir d’être le gardien ou le pasteur, mais d’incarner ces deux figures qui peuvent cohabiter au prix d’un subtil équilibre.
Régulièrement, les sentinelles de la Doctrine de la Foi attaquent le pape François sur son manque de rigorisme, lui reprochant de prendre trop de libertés. Alors même que certaines décisions récentes ont prouvé qu’il pouvait aussi imposer son opinion sans consultation. Le Pape doit-il être le pasteur du peuple ou le gardien de la Loi? Comme chrétien, sommes-nous appelés à adopter une attitude pastorale ou à condamner sans discerner les situations considérées comme irrégulières?
Chaque domaine de la vie est régi par un ensemble de règles ou "code" de conduite, et l’Eglise ne fait pas exception. A dire vrai, elle impose à ses fidèles une série de devoirs et d’interdits qui s’avèrent pour beaucoup incompréhensibles et contraignants. Ce cadre rigide, bien qu’établi avec des intentions louables, n’a pas toujours été bénéfique pour le bien-être spirituel des croyants ni pour l’épanouissement de leur foi.
Dé-coder la vie
A l’époque de Jésus, la Loi juive comptait 613 commandements religieux, moraux et sociaux. Celui qui cherchait à être irréprochable devant Dieu et ses semblables devait tous les observer avec une grande rigueur. Jésus, tout en respectant la Loi, se permet quelques libertés vis-à-vis de certaines prescriptions, particulièrement en ce qui concerne le repos sabbatique: "Le sabbat a été fait pour l’homme et non pas l’homme pour le sabbat" (Mc 2, 27). Or, il ne prône ni la révolte contre la Loi ni la désobéissance, mais adopte une attitude nuancée: un respect profond du sens des règles tout en accordant la priorité à l’amour et à la compassion.
Jésus n’était ni un légaliste rigide ni un anarchiste désinvolte: "N’allez pas croire que je sois venu abroger la Loi ou les Prophètes: je ne suis pas venu abroger, mais accomplir" (Mt 5, 17). De la même manière, le pape François ne l’est pas non plus. Il est donc injuste de l’accuser de relâchement face aux exigences morales de l’Eglise. En témoignent sa frilosité vis-à-vis du diaconat féminin et son refus de remettre en cause le célibat des prêtres. Les règles, les rites et les obligations sont nécessaires à la vie communautaire, et l’absence totale de contraintes dans tous les aspects du quotidien serait une illusion dangereuse. En Eglise, nous faisons partie d’une communauté de personnes partageant des valeurs communes. C’est dans cet esprit que s’inscrivent le dogme et la morale.
Un appel au bon sens
Une soumission aveugle à un code rigide et figé, sans place pour le discernement, la créativité ou l’écoute de l’âme, ne nous rend pas plus humains. Au temps de Jésus, de "bons" croyants se contentaient souvent d’observer la Loi à la lettre, sans en interroger le sens profond. Et Jésus de les interpeller – "Ce qui est permis le jour du sabbat, est-ce de faire le bien ou de faire le mal? De sauver un être vivant ou de le tuer?" (Mc 3, 4). Un appel au bon sens, à la compassion, une invitation à choisir la liberté intérieure. Jésus nous enseigne que l’Amour prime toujours sur une interprétation froide et mécanique des règles.
Ainsi, les figures du pasteur et du gardien peuvent cohabiter au prix d’un subtil équilibre. Entre respect des règles et liberté de conscience. Car la simple conformité à un code – devenu obsolète sur bien des points – nous empêche de placer l’Amour au cœur de nos actions.
Un cadre qui s’efface
Comme l’a affirmé Vincent Flamand, philosophe belge, lors d’une journée de formation qui nous était adressée, la promotion de l’amour inconditionnel dans le christianisme transcende et dépasse les limites imposées par le cadre. Seul l’Amour compte. S’en tenir à la posture du ‘gardien de la Loi’ ne revient-il pas à s’aligner sur l’attitude des pharisiens et des scribes, si souvent critiqués dans les évangiles? Ces derniers sont pointés par Jésus pour leur rigidité, leur formalisme et leur incapacité à voir au-delà de la Lettre de la Loi en s’enfermant dans un légalisme qui, loin de favoriser la croissance spirituelle, étouffait la vie intérieure et la véritable relation avec Dieu.
En conclusion, la fidélité à Dieu ne se mesure pas seulement à l’obéissance d’un code, mais surtout à la manière dont nous vivons et incarnons l’amour divin dans nos relations humaines. C’est ce décalage que Jésus dénonce chez les pharisiens – "Donnez et Dieu vous donnera (...) La mesure que vous employez pour mesurer sera aussi utilisée pour vous" (Lc 6, 38) – et il nous invite à ne pas tomber dans le même piège. Il ne s’agit pas de choisir entre Bon Pasteur ou Gardien de la Loi, mais d’affronter chaque situation comme le Christ: libérer, pardonner, accompagner, vivre.
Lucy SCHARTZ et Lionel JONKERS