Le rapport 2024 du JRS Belgium sur les centres de détention administrative (CDA) en Belgique offre un bilan contrasté. Ce rapport, qui porte sur la situation en 2023, mêle témoignages directs, données chiffrées et contributions inédites des directeurs de centres, apportant ainsi une perspective unique sur l’année écoulée.
Le rapport du JRS Belgium débute sur une note sombre. Dès février 2023, le décès d’un homme placé en isolement au centre de Merksplas pose question. Les circonstances de ce drame restent encore floues, et une enquête est en cours pour comprendre ce qui s’est réellement passé. Ce décès suscite une réflexion sur les conditions de vie en détention. En fin d’année, un autre drame secoue le même centre : une personne détenue se suicide le jour de Noël. Pour le JRS, « ces tragédies interrogent l’humanité de notre politique migratoire et les conséquences de la détention sur la santé mentale des détenus. »
Face à ces évènements, le gouvernement belge a rappelé son engagement envers une politique migratoire « juste et humaine. » Cependant, le rapport évoque un bilan « amer » et souligne la persistance de conditions préoccupantes dans certains centres, y compris des problèmes de surpopulation et d’infrastructure. Une illustration en est donnée par la présence de punaises de lit dans plusieurs centres en 2023, ce qui a même entraîné la fermeture temporaire de certaines parties de bâtiments.
Toujours plus de détentions mais une efficacité discutable
En mars, un accord migratoire gouvernemental voit le jour. Parmi les mesures annoncées, une avancée notable se dégage : l’interdiction de la détention des familles avec enfants dans les centres collectifs, une revendication de longue date pour les défenseurs des droits des migrants. « C’est un premier pas, mais loin d’être suffisant », souligne un porte-parole du JRS, rappelant que les enfants peuvent encore être placés dans des centres spécialisés pour familles.
Le nombre de personnes incarcérées est en constante augmentation depuis des années. Cependant, le rapport montre que l'efficacité de la politique de détention est discutable. La nouvelle loi sur le retour instaure aussi la possibilité de tests médicaux obligatoires pour assurer le retour ainsi qu’un « devoir de coopération » qui pourrait mener à plus de détention. L’année voit aussi le lancement d’un projet d’accompagnement pour les migrants en situation irrégulière, appelé ICAM, bien que les auteurs du rapport restent sceptiques : "Le temps révèlera si l'ICAM constitue une véritable alternative à la détention."
Une politique migratoire qui s’internationalise
Au cours de l’année, plusieurs accords internationaux ont influencé les politiques migratoires belges. En juin, l’Union européenne conclut un accord avec la Tunisie pour limiter les départs depuis les côtes tunisiennes et favoriser les réadmissions en échange d’une aide financière. Selon le JRS, cet accord avec "un régime peu respectueux des droits de l’homme" s’inscrit dans une tendance de l’UE à externaliser ses frontières et à collaborer avec des pays tiers pour endiguer les flux migratoires.
Par ailleurs, la fin de l’année voit l’aboutissement du Pacte migratoire européen, perçu comme un durcissement supplémentaire de la politique migratoire de l’UE. Ce pacte prévoit une augmentation des détentions ainsi qu’une intensification de la collaboration avec des pays tiers, souvent sans garanties pour les droits des personnes migrantes. Le JRS Belgium insiste sur les risques de cette politique pour les droits humains et conclut que "la coopération avec certains de ces pays, peu regardants sur les droits humains, est moralement et politiquement discutable."
Les Afghans, une population vulnérable
Les Afghans représentent une part significative des personnes détenues en Belgique. En 2023, l’Afghanistan est le deuxième pays d’origine des demandeurs d’asile en Belgique, avec un taux d’acceptation des demandes de protection internationale de 33,3 %, bien en deçà des 61 % de l’Union européenne. Cette situation reflète, selon le JRS, « un traitement plus sévère que dans le reste de l’UE, qui a pourtant harmonisé ses critères de protection internationale. »
Les centres de Merksplas et de Bruges ont vu passer de nombreux Afghans dans l’attente de leur renvoi vers d’autres pays européens, en vertu du règlement de Dublin. Cependant, des erreurs administratives ont aussi mené à la détention de plusieurs Afghans en vue d’un retour direct en Afghanistan. « Certaines personnes sont rapatriées vers des pays où elles risquent des violences, souligne le rapport, et les cas d’erreur ne font qu’amplifier les traumatismes. » Le JRS insiste sur l’importance d’une protection renforcée pour ces personnes vulnérables et appelle à « une vigilance accrue face aux risques encourus par les Afghans dans les pays de transit ou de renvoi. »
Quelques observations en vrac
La grande majorité des rapatriements s'effectuent vers des pays dont les ressortissants n'ont pas besoin de visa pour se rendre en Belgique (Albanie, Roumanie, Géorgie).
Sur 137 familles, 128 ont été interceptées à la frontière. Il semblerait que l’Office des étrangers recourt rarement à la détention lorsqu’une famille en séjour irrégulier est interceptée sur le territoire.
A Bruges, les Marocains sont restés la 2ième nationalité la plus détenue. Leur retour est pourtant compliqué par un manque de collaboration des autorités pour les identifier et délivrer des documents de voyage.
A Bruges et Merksplas, la nationalité albanaise est la plus représentée parmi les personnes en détention.
Conclusion, entre chiffres et perspectives humaines
Ce rapport brosse un tableau où la complexité des situations individuelles est souvent noyée dans une mécanique administrative inflexible. Avec un taux d’occupation moyen de 74,4 % dans les centres de détention et une capacité de 535 places, la pression demeure élevée. Le gouvernement belge, qui a adopté un « masterplan » d’extension des centres de détention, montre une tendance au renforcement de cette politique. Le JRS appelle plutôt à des solutions alternatives pour les personnes en situation de migration irrégulière et à des dispositifs qui respectent davantage la dignité humaine.
Ce rapport est aussi enrichi par une nouveauté : la contribution des directeurs des centres, qui partagent dans chaque section « Faits marquants » des éléments de leur gestion quotidienne. Cela permet d’obtenir une vision plus nuancée des réalités internes, même si les conclusions restent préoccupantes. Le JRS Belgium insiste sur le besoin de solutions respectueuses des droits humains. "Le respect des droits fondamentaux ne doit pas être une option, même en matière de migration", conclut l’organisme, appelant à une politique migratoire qui protège non seulement les frontières, mais aussi les valeurs humaines.
L'intégralité du Rapport sur les centres de détention pour migrants est disponible sur le site du JRS