Coups de coeur et coups de gueule : Cinq catholiques réagissent à la visite du pape en Belgique


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Coups de coeur et coups de gueule : Cinq catholiques réagissent à la visite du pape en Belgique
Copyright Patrick Bouillon
Par cinq catholiques belges
Publié le
14 min

Les cartes blanches affluent après la visite du pape en Belgique. Voici, compilés dans cet article, cinq réactions de catholiques belges qui illustrent une vision contrastée du voyage : si on y célèbre les "gestes forts" de François et la "qualité de son écoute", on y dénonce également des "propos injurieux" qui ont conduit certains à se sentir "éloignés de leur foi".

Sommaire :

Cliquez sur un des liens ci-dessous pour accéder directement à la carte blanche désirée :

J’ai mal à mon Eglise catholique… Que reste-t-il à espérer ?

Nous sommes nombreux à avoir mal à notre Eglise catholique après ce voyage d’un pape que nous avions apprécié pour sa défense des pauvres et de la nature. Et maintenant, patatra, nous avons assisté, médusés, à des propos injurieux, intolérants, accusateurs, sans aucune nuance ni compréhension à l’égard de femmes dans le malheur… La chose est d’autant plus choquante que ce même clergé s’est obstiné à taire, depuis des décennies, des comportements pervers de nombre de ses membres…

Quoiqu’en pensent ceux qui prennent la défense du pape en cette circonstance, ce n’est pas ainsi que l’Eglise catholique s’en portera mieux aujourd'hui. Il ne restera plus, peut-être, à terme, qu’un très petit troupeau… et c’est bien dommage.

N’y a-t-il pas, d’autre part, une profonde incompatibilité entre tout le luxe et le fatras cérémonial de cette visite à 3 millions d’euros et le témoignage à donner de Jésus de Nazareth « qui n’avait pas une pierre pour reposer sa tête » ?

Le Vatican et les épiscopats continueront-ils encore longtemps à refuser l’ordination de femmes ?  Ce refus obstiné de l’égalité en dignité est justifié par cette parole du pape : « La femme ne doit pas faire l’homme » et par l’argument de la diversité et complémentarité des deux sexes : donc l’homme pour diriger, la femme pour aimer… Le clergé catholique restera donc réservé exclusivement aux hommes. Curieuse application des beaux principes de diversité et de complémentarité. Refus maladif de faire confiance aux femmes. Le clergé exclusivement masculin veut le rester, refuse absolument de partager avec elles le pouvoir spirituel suprême, qui est dans l’Eglise le pouvoir sacramentel.

Faudra-t-il aller jusqu’à organiser des grèves pour espérer que cela change un jour ?

Ô Seigneur, viens à notre aide !

Une opinion de Philippe De Briey

Ce voyage met l'épiscopat en difficulté

Une visite très contrastée : d’une part, largement, l’enthousiasme, la joie des foules à Koekelberg, lors de la soirée jeunes, au stade Roi Baudouin ; d’autre part, la visite à la KULeuven) et à l’UCLouvain (Louvain-la-Neuve), la visite à la tombe du Roi Baudoin, son interview dans l’avion du retour. Contraste entre l’approche pastorale du pape et son approche doctrinale.

Il y a l’enthousiasme des foules et de nombreux jeunes, touchés par le style de communication, la foi, la présence de François. Il faut espérer que ce ne soit pas un feu de paille, que cela suscite un approfondissement de l’adhésion personnelle de foi et de participation active aux communautés d’Église.

Il y a aussi eu les gestes forts : la visite non programmée chez les Petites sœurs de pauvres en pleine Marolles, le café pris avec des SDF à Saint-Gilles. Et puis très symbolique, ses déplacement dans sa petite Fiat 500 blanche au milieu des grosses Mercedes et autres BMW noires.

Il y a aussi eu ses paroles très claires et fortes concernant les abus sexuels commis par des prêtes ou religieux (des crimes), et la rencontre personnelle de quinze victimes qui, dans l’ensemble, ont été touchées par la qualité de son écoute, de son accueil, et son invitation à poursuivre le dialogue à Rome.

Il y a encore son appel pour la prise au sérieux des défis de l’environnement et du climat ; son appel pour l’ouverture à l’accueil des exilés.

Tout cela est très positif.

Mais il y a de grosses ombres au tableau. Ses paroles concernant les femmes et l’avortement. Sa visite aux deux universités ne s’est pas bien passée, surtout à Louvain-la-Neuve. Interpellé sur la question des femmes, il s’en est référé à la nature, disant que « la femme est plus grande que l’homme », que l’Église est une femme, et que « la femme est accueil fécond, soin, dévouement vital ». Il a de plus esquivé la question concernant les LGBTQIA+[1]. Ayant communiqué au préalable le texte de son intervention aux autorités académiques, celles de Louvain-la-Neuve ont diffusé à la sortie de l’événement un communiqué de presse disant « son incompréhension et sa désapprobation quant à la position exprimée par le pape François concernant la place des femmes dans l’Église et dans la société. Une position déterministe et réductrice face à laquelle l’UCLouvain ne peut qu’opposer son désaccord ».

Par ailleurs, non prévu au programme, François est allé se recueillir dans la crypte de l’église de Laeken, sur la tombe du roi Baudouin. Il a loué le courage du roi dans son refus en conscience de signer la première loi sur l’avortement[2], et a déclaré qu’il s’est opposé à une « loi meurtrière ». Interrogé sur la question dans l’avion du retour il a redit, ce qu’il a déjà exprimé à plusieurs reprises, que les médecins pratiquant l’avortement sont des « tueurs à gage »[3]. Il a dit à Laeken qu’il voulait béatifier Baudouin, il l’a répété dans l’avion, ajoutant qu’il demanderait aux évêques de mettre en œuvre la procédure. Ce qui, pour beaucoup, serait inacceptable.

François intervient ainsi brutalement dans le contexte de la société belge qui soutient massivement la libéralisation de l’avortement (une petite minorité catholique s’y oppose dans une ligne radicale pro-vie) ; une société où il y a une laïcité organisée très active, de tradition anticatholique et tatillonne en ce qui concerne la laïcité de l’État ; une société où on a un épiscopat de tradition assez libérale et discrète, qui évite sainement les confrontations.

Ce voyage est politiquement malheureux, il met vraiment l’épiscopat en difficulté, il complique les relations entre l’Église et l’État. Il divise aussi la communauté catholique entre le groupe enthousiaste assez important, mais peu sensible aux analyses politiques, et un groupe significatif très frustré et assez en colère. Quelles en seront les conséquences à plus long terme pour l’Église en Belgique ? Il est difficile de le prévoir.

Une opinion d'Ignace Berten, o.p.


[1] Selon un témoin de sa rencontre avec des victimes des abus sexuels par des prêtres ou religieux, interpellé par une personne apparemment transgenre à propos des LGBTQIA+, François a fait montre d’un total respect. « Il a parlé de l’égale dignité des enfants de Dieu et il a répondu à cette personne avec la même empathie qu’envers les autres. » (Publié dans Cathobel.)

[2] Petit rappel : en 1990 le Parlement a voté à très forte majorité une loi ouvrant la possibilité légale de la pratique de l’avortement à certaines conditions. Le roi Baudouin a refusé de la signer, condition constitutionnelle pour la validé. On a trouvé une astuce : il s’est mis en état d’incapacité de gouverner pendant 36 heures : cas prévu par la constitution : alors c’est le Parlement qui prend le relais.

[3] Le docteur Maxime Fastrez, président du Collège royal des gynécologues-obstétriciens de langue française s’est exprimé clairement à ce sujet le 30 septembre : « Dire que les médecins qui pratiquent l’avortement sont des tueurs à gage, que l’avortement est un meurtre et que les lois qui l’ont dépénalisé sont criminelles, vraiment, les bras m’en tombent ! Je ne sais pas quel mot utiliser tout en restant poli. Je suis outré, dépité, non seulement par ces propos du pape – à qui je ne comprends d’ailleurs pas qu’on ait donné une telle tribune alors qu’on connaît son positionnement ‒ mais aussi par le momentum, qui n’est certainement pas un hasard. » (Il y a débat actuellement pour prolonger de douze à dix-huit semaines le délai pour effectuer un avortement.)

Le pape m'a éloigné de ma foi

Je suis maman de trois enfants que j'élève dans la foi catholique. 

Elevée comme mes quatre frères et soeur, je suis la seule à suivre ce chemin avec mes enfants. Nous avons tous les 5 étudié dans des universités et hautes écoles catholiques. 

J'ai été à une messe du Pape Jean-Paul II au Vatican. J'ai amené mes enfants à fêter Pâques au Vatican l'an dernier. Nous allons régulièrement à la messe.

Je suis triste si triste des propos du Pape François en Belgique. Ses propos m'ont éloigné de lui.

Nous sommes un pays laïc et un pape n'a pas à commenter une loi. Nous sommes un pays où les femmes sont libres et ont des vies riches.

Le pape m'a éloigné de ma foi.

Le pape m'a éloigné de la famille royale. Pourquoi le Roi Philippe si moderne et bien dans son époque, doit-il assumer les errances de son oncle? 

Nous sommes en 2024. Le monde évolue. La Belgique est pionnière ou bonne élève dans l'évolution des droits et de l'égalité entre les hommes et les femmes. La Belgique est fière de son éducation et approche les progrès de la science sereinement.

Le Pape François m'a énormément déçue. 

Aujourd'hui, je suis triste. Je sais que je ne trouverai pas les réponses au sein de ma paroisse où le niveau intellectuel du clergé n'est pas suffisamment élevé. 

Nous avons l'habitude de penser par nous même.

J'ai espéré que la visite du Pape serait une opportunité pour les catholiques belges d'entendre une parole éclairée. 

Je vais chercher ailleurs. 

Une opinion d'une maman de 3 enfants (qui a souhaité garder l'anonymat)

Le clash était inévitable

Mes sentiments sont mêlés au terme de cette visite pontificale où le pape François a perdu son capital de sympathie de la part de nombreux Belges. Certains seront toujours tentés de ne retenir que le positif, d’autres, le négatif, et chacun y verra ce qui va dans son sens. Je me tiendrai sur la médiane.

Dès le départ, il y avait un grand malentendu : un pape habitué à enseigner, posture que la mentalité belge n’accepte plus ; une Belgique habituée à se démarquer, à se proclamer progressiste : au lieu d’écouter le visiteur, on voulait le sermonner. Le clash était inévitable.

Pourtant, que de positif ! Les mots tant attendus à propos des abus sexuels ont été prononcés : crime, honte, demande de pardon. François a présenté des excuses au nom de l’Église. Quinze victimes d’abus l’ont rencontré vendredi soir, sous couvert d’anonymat, à leur demande. Chacune a pu parler avec lui personnellement, un échange commun s’en est suivi. 2 heures 15, au lieu d’une heure. « Il a écouté, m’a confié une des victimes. Il a expliqué ce qu’il a fait et va faire. Il a surtout demandé pardon, un pardon rempli de sincérité enfin. Je me sens libérée, en paix et pouvant enfin avancer sur le chemin de la guérison. »

C’était la première surprise, car certaines personnes n’en attendaient rien. La seconde est qu’il soit venu en Belgique alors qu’il préfère habituellement les pays aux frontières. Mais notre pays n’est-il pas aux frontières les plus lointaines de l’Eglise ? Il a besoin d’un réarmement spirituel ! « Nous sommes passés, a dit François, d’un christianisme installé dans un cadre social accueillant à un christianisme de “minorité” ou plutôt, de témoignage. » J’aime. Les autres surprises sont aussi aux frontières : la visite au home des petites sœurs des pauvres, aux sans-domiciles à Saint-Gilles, aux 5.500 jeunes au Heysel, le samedi soir. J’apprécie.

Mais tout ne peut être parfait et on ne s’attend pas à ce que les opposants habituels restent dans les tranchées ! Le pape n’avait-t-il pas le droit, devant la tombe du roi Baudouin, de se dire touché par un souverain pour qui la vie d’un enfant à naître passe avant son trône et qui suit sa conscience ? Respect ! Mais il aurait pu et même dû le dire avec des mots et des images moins blessants. « Tueur à gage » est une expression trop violente. Le pape était proche du prosélytisme qu’il dénonce, de la croisade. Dommage !

Second bémol : son langage inadapté sur la femme. Le Pape ne voulait pas la réduire à son rôle domestique, mais dire la haute estime que le christianisme en a : elle est « accueil, soin, dévouement vital ». Ce n’était pas un déni du féminisme, il se situait sur un autre niveau. Il semblait ne pas avoir écouté vraiment les étudiants. Là est l’erreur. Un communiqué de l’UCL pour se démarquer fut aussitôt distribué à tous les journalistes. Merci l’élégance ! Par contre, la place des femmes dans les différentes cérémonies organisées par l’Église belge fut une belle surprise.

La visite est terminée. On compte les points. Les catholiques ont connu des moments de grande joie. Quant au dialogue avec la société, c’est un échec. Personnellement, je retiendrai, par-delà les polémiques inévitables, dont l’Évangile lui-même est plein, les innombrables interpellations qui ont ponctué ses discours. « Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain, m’écrit une amie. Prenons le positif et que ce qui est négatif soit l’occasion d’une nouvelle réflexion. »

Une opinion de Charles Delhez sj

J'accuse

Vous le savez, c’est le titre d’un article d’Émile Zola au cours de l’affaire Dreyfus en 1898.  Mais, ce n’est pas du tout mon cas, je voulais juste attirer votre attention.  Visiblement, si vous me lisez, c’est que j’ai réussi !

Accuser. Je laisserai ce soin à d’autres, dans et hors de l’Église, qui ne s’en sont pas privés.  Pour ma part, je veux simplement m’interroger et interroger ?  Qui suis-je ?  Ni un grand théologien, ni un juriste, ni un philosophe …  Je suis simplement un prêtre, mais bien plus que cela, je suis, comme tout baptisé, un membre du Peuple de Dieu, autrement dit un chrétien.  Je ne suis porte-parole … que de moi-même. C’est en raison de ma dignité de baptisé que j’écris ces quelques lignes. Pour ma part, je suis pleinement dans l’Église, avec ses grandeurs et ses bassesses car elles sont mes grandeurs et mes bassesses et il serait par trop facile de m’en distancier lorsqu’elle ne montre pas la beauté que l’on attend d’elle ou que j’attends d’elle. Malgré tout ce qui peut arriver, je suis heureux d’être prêtre à son service et aux services de mes frères depuis 35 ans.   C’est un peu facile d’être « dans l’Église en n’y étant pas, mais en y étant quand même, mais pas vraiment tout-à-fait … »

Et tout d’abord, ne peut-on pas pardonner à François d’avoir utilisé un mot qu’il n’aurait évidemment pas dû utiliser ?  Vous êtes-vous mis un instant à la place d’un monsieur de presque 90 ans, s’exprimant après un réel marathon, sans « aucun filet » ?  Qu’aurions-nous dit dans de telles circonstances ?  Autre chose est un discours, une homélie qui a été écrite à l’avance et relue par d’autres, autre chose est un mot qui jaillit du cœur d’un homme qui tient tant à la vie : à la vie de la terre - Laudato Si’ -, à la vie de chaque homme - Fratelli Tutti - ; un Pape qui veut que chacune et chacun devienne le saint, le sainte que Dieu veut pour lui - Gaudete et exsultate - !

Mais, creusons un peu !  Vous l’avez bien entendu, François ne parle pas des femmes qui demandent et vivent un avortement ; jamais il n’a banalisé la souffrance de celles qui vivent des grossesses non-désirées. Ce n’est pas non plus parce que l’Église est opposée à l’avortement, qu’elle laisse ces femmes se débrouiller seules.  Il est bon de rappeler que des membres de l’Église et des groupements d’Église accompagnent ces femmes qui ont décidé de pratiquer l’IVG, avant, pendant et après.   

Personnellement, je suis convaincu que les médecins qui les pratiquent sont pleins d’humanité et d’empathie. Mais à travers les médecins dont il parle, n’est-ce pas plutôt nous, société, qu’il appelle « tueurs à gage » ? Les médecins exécutent une loi ; cette loi, nous l’avons appelée de nos vœux - majoritairement - dans notre pays.  Et si nous nous trompions de cible ? Si, au lieu d’aller en aval, il nous fallait remonter en amont ?  Car il me semble qu’avant d’être une question de morale, l’avortement est d’abord et avant tout une question de justice sociale et une question sociétale.  Qu’est-ce qui fait qu’aujourd’hui encore, au XXIème siècle, des femmes en arrivent à devoir interrompre leur grossesse ?  Car, cela va sans dire, je suis convaincu qu’aucune ne le demande par gaieté de cœur.

Laissez-moi aller plus loin en parlant de mon expérience de prêtre, appelé à animer de nombreuses retraites et recueillant donc tellement de confidences.  Parmi les femmes qui ont vécu un avortement et qui se sont confiées à moi, ce sont toujours les mêmes causes qui reviennent. Ce n’est sans doute pas exhaustif, mais je ne veux parler que de choses que je connais. 

La première, c’est : « Je n’avais pas les moyens financiers d’élever un enfant ou un enfant de plus. »  Je vous l’ai dit : justice sociale …  Les différents niveaux de pouvoirs de notre pays en font-ils assez pour diminuer les inégalités sociales, pour promouvoir des allocations familiales, des aides financières, psychologiques …  Sans doute, cela revient-il plus cher que de rembourser les IVG, mais n’est-ce pas se voiler la face à très bon marché.  « Oui, mais monsieur l’abbé, nous vivons une période très difficile et l’État (les régions, les communautés …) n’a pas les moyens » …  Laissez-moi sourire ou plutôt pleurer lorsque je vois d’un côté tel ou tel budget et d’un autre côté à quel point nos pauvres services de santé tellement applaudis lors de la crise de la Covid, sont toujours étranglés ! Et si vraiment c’est le cas, suis-je prêt à payer encore plus d’impôts pour qu’on leur accorde une aide substantielle ?  Pas simple …

Une opinion de Pierre Hannosset
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