Non, la paix n’est pas seulement l’absence de guerre. Et elle ne peut être installée que par le droit. Quels en sont les véritables ingrédients? Ambassadeur honoraire de Belgique, professeur à l’UCLouvain, Raoul Delcorde tâche de répondre à la question.
On a longtemps considéré que la paix est une trêve (plus ou moins longue) entre deux guerres. La paix se définirait négativement: c’est l’absence de guerre. La paix s’établirait automatiquement par la victoire et dicterait ses conditions à ses adversaires (pensons à la pax romana qui dura deux siècles, à partir du règne de l’empereur Auguste, soumettant à l’empire romain des nations s’étendant de l’Angleterre jusqu’à la Syrie actuelle, en passant par tout le pourtour méditerranéen). Mais une paix imposée est-elle une vraie paix?
Le mur de l’égoïsme des puissances
La paix durable ne va pas tellement de soi, au point qu’on en vient à se demander si la véritable condition de l’homme n’est pas la guerre. C’est tout le sens de la célèbre formule: “Si tu veux la paix, prépare la guerre”. D’ailleurs, la paix n’a pas d’histoire. Elle se vit, elle ne se raconte pas. Pourtant, des philosophes ont renversé la formule en énonçant “si tu veux la paix, prépare la paix”.
Quelles sont les conditions politiques de la paix dans le monde ? C’est à cette question que tente de répondre Emmanuel Kant dans son Projet de paix perpétuelle. L’état de paix ne saurait vraiment s’instaurer, selon Kant, que lorsqu’il existera une constitution politique à peu près parfaite, réglant impérativement non seulement les relations des individus dans un Etat, mais les relations des Etats entre eux. Les gouvernants devraient avoir pour objectif, selon Kant, non seulement le bien de leur pays, mais celui du monde entier. Ce projet idéaliste court depuis le siècle des Lumières. Il a trouvé une première expression concrète dans le concept de sécurité collective qui est au cœur de l’ONU, et avant elle, de la SDN (Société des Nations). C’est l’article 2 § 4 de la Charte de l’ONU, qui prohibe l’usage de la force, sauf en cas de légitime défense.
Poussé à l’extrême, cela voudrait dire, pour que la paix ne soit pas un vain mot, qu’elle ne soit pas seulement l’absence de guerre, mais l’impossibilité de la guerre. Mais ce concept s’écrase sur le mur de l’égoïsme des puissances. L’ONU est bien souvent impuissante face à l’irruption des conflits…
Une sorte de tête-à-tête avec le réel
On déclare seul une guerre, mais il faut au moins être deux pour négocier la paix. La paix est donc une négociation patiente. Là où la guerre prétend tout résoudre soudainement, “la paix demande à être pétrie dans un processus interactif et progressif à maturation lente” (Dominique de Villepin). Sauf à se satisfaire de ses représentations caricaturales, il faut accepter d’entrer avec la paix dans une sorte de tête-à-tête avec le réel. Or, bien souvent on préfère déplorer la guerre plutôt qu’imaginer la paix. Peut-être est-ce la raison du manque de manuels ou d’essais consacrés à la paix.
La paix n’est pas l’absence de conflit mais l’institution d’un nouvel ordre dans le temps, un ordre assez global pour éviter que la paix chez les uns devienne, paradoxalement, la cause de la guerre chez les autres.
Le meilleur rempart
L’issue de la Première Guerre mondiale fut un traité sans paix. Celle de la Seconde Guerre mondiale, une paix sans traité. Il fallait donc en finir avec les "paix bancales" du monde d’avant. La Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et le droit international né de Nuremberg (condamnation des crimes contre l’humanité) furent les piliers de ce droit au-dessus des nations. Mais la paix, ce n’est pas le droit, ou du moins, pas exclusivement du droit. La paix est politique. Réorganiser la communauté politique, fondée sur l’idée démocratique. La propagation des mécanismes démocratiques reste le meilleur rempart contre la guerre. Les démocraties ne se font pas la guerre.
Le diplomate est un bâtisseur de paix. Et ce travail commence par la médiation. Celle de la communauté de Sant’ Egidio, par exemple, ou celle du Saint-Siège. Elle est devenue l’indispensable passerelle vers la paix. On la voit à l’œuvre (avec des succès et des échecs, aussi) au Moyen-Orient, entre l’Ukraine et la Russie, entre le Rwanda et la RDC, entre la Serbie et le Kosovo. La paix a un symbole, et c’est la colombe. Une colombe contre la bombe nucléaire. Une colombe qui est le symbole du Saint-Esprit. Blanche est la colombe comme le drapeau que l’on hisse pour demander la cessation des hostilités.
Ce n’est pas seulement une image. C’est aussi un projet, qui est d’ancrer la paix en créant et en développant les instruments capables d’extirper les principales causes de la guerre. Droit, justice et réconciliation en sont les ingrédients principaux.
Raoul DELCORDE