Dans ce livre tendre et délicat, Zineb Mekouar nous emmène à Inzerki, au sud du Maroc, où se trouve le plus ancien rucher collectif du monde. Anir, dix ans, issu d’une famille au lourd secret, s’accroche aux légendes de sa terre qui s’assèche.
Souviens-toi des abeilles, le titre du dernier roman de Zineb Mekouar, est l’imploration du vieil apiculteur Jeddi à son fils Omar, quand celui-ci décide de quitter Inzerki, dans le Haut Atlas, pour tenter sa chance en ville. Omar espère ainsi sauver sa femme Aïcha, devenue folle depuis cette nuit où tout a basculé. A dix ans, leur fils Anir a grandi à l’écart des autres enfants, au rythme des légendes et conseils de son grand-père et des escapades avec sa maman à l’aube, seul moment où la lumière revient dans le regard de celle que les villageois appellent la mejnouna, la "possédée".
Le rucher du Saint
Au cœur de la vie d’Anir se dresse le Taddart, ou rucher du Saint, dont Jeddi ne se lasse pas de lui raconter l’histoire. Il y a très longtemps, un habitant du village a voulu devenir apiculteur, et il a demandé à un saint de lui accorder sa baraka, sa bénédiction. Le saint, surpris de la qualité du miel obtenu, a alors permis à chaque villageois de déposer là sa ruche. Depuis, ceux-ci gardent une partie de leur récolte pour les descendants de ce saint. Mais personne n’a le droit de prendre le miel d’une ruche qui ne lui appartient pas, sous peine de malédiction… Anir est fier de recevoir des mains de son grand-père sa propre colonie avec sa reine, ses faux bourdons et ses ouvrières. Il se demande pourtant pourquoi Aïcha s’arrête toujours devant la seule ruche peuplée d’abeilles noires, alors que Jeddi fait un détour pour l’éviter.
Les fissures de la terre
Jeddi apprend aussi à Anir un mot talisman qu’il murmure parfois à la terre pour ses cicatrices. Mais quand l’eau vient à manquer et que les abeilles périssent une à une, y compris celle d’Anir, quand la terre tremble et mélange les ruches qui s’effondrent, Jeddi devine que “même Ya-Samad, le mot talisman, ne pourra rien pour cette terre fendue, fragilisée, béante; pour ce sol encore chaud, ouvert”. Alors il s’assied sous l’arganier centenaire, d’où il appelle parfois son fils Omar, et se répète “ched lardde, accroche-toi au sol”.
Cette nuit-là
Entre le présent au climat bouleversant et la nuit noire qui a fait basculer la famille d’Anir se tient un refrain entêtant fredonné sans cesse par Aïcha: "do, do, da; grave, grave, aigu". Le chant qu’elle murmurait cette nuit à un enfant malade, à qui elle a donné un peu de miel pour l’apaiser…
Zineb Mekouar nous raconte les désastres du réchauffement climatique ou des secrets de famille dans une écriture douce comme une caresse. Telle une maman qui berce son enfant, elle nous souffle aussi l’espoir d’une reconstruction, à travers un barrage ou une parole libérée, “essayer de sauver ce qui peut encore être sauvé”.
Christel VISÉE
Zineb MEKOUAR, Souviens-toi des abeilles, Gallimard, 2024, 176 pages.