Avec "L'Eglise dans tous ses états", Mgr Léonard ne livre pas seulement un récit autobiographique. Cet ouvrage est aussi une manière, pour l'ancien archevêque de Malines-Bruxelles, de relire la relation qu'il a entretenue avec l'Eglise depuis 50 ans. CathoBel a sélectionné pour vous trois extraits.
Trois ans après s'être livré dans son "Journal de campagne" (Luc Pire, 2019), l'évêque émérite de Namur, ancien archevêque de Malines-Bruxelles, ayant succédé au cardinal Danneels, Mgr Léonard revient avec un ouvrage où il raconte "50 ans de débat autour de la foi."
Benoit XVI, les médias et l'Eglise
Quels souvenirs garde-t-il de Benoit XVI? comment a-t-il vécu les (nécessaires mais complexes) relations avec les médias ? quel avenir entrevoit-il pour l'Eglise? Voici quelques extraits choisis de "L'Eglise dans tous ses états", paru aux éditions Artège.
📖 Feuilleter l'introduction de l'ouvrage sur le site de l'éditeur.
"Il y a des hommes dont le regard est un signe de Dieu"
J’ai appris à le connaître plus profondément à l’occasion des réunions de la Commission. J’ai admiré sa simplicité, son humilité. Au début de la semaine, il ouvrait la séance en latin, le parlant très aisément, après quoi il se taisait pendant la plupart des débats. Mais, le soir venu, il faisait en italien un résumé de ce qui avait été dit pendant la journée et ouvrait des pistes pour le lendemain. Il parlait très peu, mais quand il parlait, ses paroles valaient de l’or.
Par surcroît, il ne manquait pas d’humour ! Dans les moments libres, il était disponible pour recevoir l’un ou l’autre membre de la Commission, pendant un quart d’heure, une demi-heure, après le repas de midi. Car il ne faisait pas de sieste, mais enlevait seulement sa ceinture pourpre pour être plus à l’aise. Il ne buvait pas de vin, mais des jus de fruits afin de rester pleinement lucide. Je l’ai donc connu dans ce contexte à partir de 1986. (…)
Je l’ai ensuite rencontré quelquefois comme évêque avec mes confrères lors des visites ad limina ou à titre personnel. J’ai toujours admiré son accueil, sa gentillesse, son sens de l’humour et son intelligence. Quand nous visitions les congrégations romaines, c’était à la Doctrine de la foi que les conversations étaient les plus enrichissantes.
J’ai vu Benoît XVI pour la dernière fois en octobre 2016. Il habite un ancien monastère dans les jardins du Vatican. Il ne pouvait presque plus marcher et m’a reçu une demi-heure. Nous n’avons pas parlé de l’actualité, de ce qui se passait à Rome ou en Belgique, à Namur ou à Bruxelles. Cela aurait pu être embarrassant pour lui comme pour moi. (…) Lui m’expliquait que, s’approchant de la mort, il passait désormais sa vie surtout à prier, ne pouvant plus guère lire à cause de sa vue déficiente et n’ayant que très peu l’occasion d’écrire. Et moi de lui dire le bonheur que j’avais dans les Hautes-Alpes et en France, à enseigner, prêcher, confesser, accompagner et à rendre service au sanctuaire de Notre-Dame du Laus et dans les paroisses du secteur pastoral d’Embrun. Il m’écoutait avec bienveillance. Il y a des hommes dont le regard est un signe de Dieu. Il en fait partie…
"Une forme de justice immanente"
Le contact avec les médias fait partie de la vie d’un évêque et, surtout, d’un archevêque métropolitain. Je n’ai jamais cherché ces contacts. Mais je les ai parfois suscités involontairement, par ma manière de penser et d’agir. Et, surtout, ils sont venus à moi, sachant que je ne les fuirais pas. Car ils me considéraient comme « un bon public », parce que je ne les évitais pas systématiquement, avais du « répondant » et leur parlais franchement, quoiqu’ils eussent préféré que je pensasse autrement… Un gros problème les concernant est l’ignorance, chez la plupart, des subtilités du langage. Étonnant, chez des personnes dont le métier est de parler et d’écrire… (…)
À l’école, je fis connaissance, dès mon jeune âge, avec l’expression « justice immanente », laquelle désigne une conséquence pénible, qui ne nous est pas infligée du dehors, comme une punition, mais découle du « dedans » même de nos comportements (« immanent » signifie, en effet, « qui réside au-dedans », manere in, en latin). Par exemple, si vous buvez quotidiennement deux litres de whisky, le mauvais état de votre foie ne résultera pas d’une punition décrétée par le ministre de la Santé publique, mais de la logique « interne », immanente, de votre comportement.
Quand donc, pour me dresser un piège, un journaliste me demanda un jour si je considérais que la première propagation du sida était le résultat d’une punition divine, je déçus son attente en suggérant que, non pas l’origine du virus, mais sa première diffusion était simplement une forme de justice immanente, et non une punition, car elle résultait de la promiscuité sexuelle et surtout homosexuelle de personnes infectées. Ce n’était pas une punition divine, mais le résultat logique, « immanent », de certains comportements. Ce fut un beau scandale ! Toute la partie inculte de la presse accrédita la thèse que, dans mon sadisme et mon homophobie, je souhaitais que s’abattît sur la gent homosexuelle la foudre d’une justice « imminente ». Je tentai d’expliquer, mais rien n’y fit. La cause était entendue. Je me gardai donc bien de sortir la comparaison proposée ci-dessus, sans quoi la conclusion qu’on en eût tirée aurait été que tous les amateurs de whisky sont menacés du sida par les éclairs de Jupiter ! Pauvre capitaine Haddock !
"L'Eglise doit retrouver sa solidité et sa fermeté doctrinales"
Jésus abandonnerait-il maintenant l’humanité à son sort ? Jamais de la vie ! Lui qui, durant sa vie terrestre, a guéri tant de malades et réconcilié tant de pécheurs, lui qui a affirmé à de multiples reprises que toute prière faite avec persévérance, dans la foi, serait finalement exaucée, n’entendrait-il pas nos supplications pour la guérison de l’humanité et la purification de son Église ?
À coup sûr, il les entend et veut y répondre. Nous ne crions pas vers lui pour le rendre sensible à notre détresse. Son coeur transpercé est infiniment plus vulnérable que le nôtre ! Nous ne prions pas pour l’informer de nos misères. Il les connaît mieux que nous et les a portées avant nous dans sa détresse à l’agonie et sur la croix, abandonné des hommes et même, apparemment, de Dieu son Père (cf. Mt 27,46). Et s’il nous demande de prier longtemps, avec endurance, ce n’est pas parce qu’il serait devenu sourd au fil des siècles. C’est parce que nous, pauvres incrédules, nous avons besoin de temps, de beaucoup de temps, pour enfin croire à la toute-puissance de la prière. (…)
Mais pour que d’autres légions de saints et de saintes se lèvent en ces temps qui sont les derniers, l’Église, Épouse du Christ, doit impérativement retrouver sa solidité et sa fermeté doctrinales, alors qu’en tant de lieux la foi authentique s’effiloche. Nous devons donc renouer avec l’audace des Pères de l’Église et de ses docteurs, depuis saint Irénée jusqu’à sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, afin d’être fidèles s’il le faut, jusqu’au martyre. Notre plus grand besoin n’est pas de réformer nos structures paroissiales ni de créer des commissions de ceci ou de cela, ni d’organiser des synodes, même si tout cela peut avoir son intérêt et même, parfois, sa nécessité.
Il nous faut surtout de saints évêques, de saints prêtres et diacres, de saintes personnes consacrées et de saints laïcs qui, par leur élan, stimuleront les vocations de toute sorte, redonneront une vitalité surnaturelle à nos assemblées liturgiques et à nos entreprises pastorales et feront à nouveau de l’Église une « lumière pour le monde » (cf. Mt 5,14-16). Le salut ne peut venir que « par En-Haut », par la puissance de l’Esprit Saint.
