Dans son film Wild Women, Cécile Mavet nous fait suivre son cheminement intime, accompagné par la voix de quatre femmes de traditions spirituelles différentes. Entretien avec la réalisatrice.
Comment avez-vous construit ce récit?
J’ai rencontré ces femmes parce que je trouvais qu’il y avait un manque, de manière générale, de la parole spirituelle de femmes. J’avais aussi moi-même un grand besoin de rencontrer des personnes inspirantes qui vivaient de l’intérieur les enseignements qu’elles transmettaient. Ça a été tout un chemin de rencontrer ces femmes, c’est un processus qui s’est étalé sur dix ans. Je ne voulais pas juste rencontrer quelqu’un, sortir directement ma caméra. Je voulais vraiment prendre le temps. Au bout d’un moment, je me suis retrouvée avec leur témoignage et toute la question était de savoir comment leur rendre justice ? Comment rendre la profondeur spirituelle de ces enseignements autrement qu’en faisant une succession de portraits. C’est là que l’idée a émergé d’intégrer ma propre recherche pour que le film devienne un voyage et qu’il emmène le spectateur.
Quelles ont été les difficultés lors de la retraite au sein de la Fraternité Notre-Dame du Désert?
La vie quotidienne à laquelle on est habitués nous éloigne de nous-mêmes. C’est drôle parce que je m’en rends compte encore plus maintenant après avoir vécu cette expérience. Forcément, quand on met en place un dispositif où on met de côté les portables et les réseaux sociaux, tous les contacts dans lesquels on baigne constamment, il se passe une chose à laquelle on n’est plus du tout habitués : se retrouver confronté à soi-même, sans divertissement. Tout ce qu’on a l’habitude de fuir réémerge. C’est ça qui est confrontant.
Ce dépouillement mène-t-il à quelque chose de positif?
Ce qui est génial, c’est que tout devient hyper intense. Chaque petite chose, un rayon de soleil, une goutte d’eau sur une feuille, nous ramène à cet état tellement simple. La structure du film a été conçue pour ça, pour nous faire sortir de ce temps de la consommation, de cette frénésie, pour brouiller la séparation entre l’intérieur et l’extérieur.
Quels points communs avez-vous décelés entre ces femmes de traditions spirituelles différentes?
À un moment donné, l’amour c’est l’amour. Ces femmes ont toutes vécu un chemin d’ouverture du cœur et ce qu’on ressent à leur contact, bien qu’elles soient extrêmement différentes, qu’elles viennent de différents pays, qu’elles parlent des langues différentes, c’est une paix immense. Quelque chose qui est tranquille. Je voulais montrer une diversité parce qu’il y a quelque chose qui me touchait aussi beaucoup dans le fait que finalement toutes ces religions, qui ont été créées par des hommes et ont engendré beaucoup d’horribles guerres, parlent de la même chose, à travers la voix de ces femmes qui le vivent de manière très intime et très intérieure. Comme le dit très bien Hayat Nur dans le film, "on fait partie d’un tout", avec chacun ses spécificités.
Pourquoi avoir donné à votre film le titre Wild Women?
Il y a un aspect que je voulais montrer par ces femmes, c’est la liberté. Il y a cette phrase magnifique de Maurice Zundel, prêtre théologien suisse et grand mystique qui dit: "Dieu c’est l’espace infini où notre liberté respire". Ces femmes sont dans cette vibration-là. Il y en a qui sont dans des traditions très codifiées comme Hayat Nur qui est dans une tradition soufie. Mais la pratique est au service de l’essentiel et pas le contraire. Annick de Souzenelle avait le sentiment d’étouffer dans la tradition catholique de son époque. Elle a trouvé dans l’orthodoxie ce souffle.
Et vous, quel a été votre parcours?
J’ai été élevée dans la tradition catholique, de manière plutôt extérieure. Mon chemin a été de m’intéresser à toutes les spiritualités de l’Orient: le bouddhisme, le tantrisme, l’hindouisme et de cheminer à travers ces traditions. Et puis, comme le chemin du film, après cette retraite, revenir à ma tradition d’origine, mais l’envisager d’une autre manière, beaucoup plus intérieure et spirituelle. Il y a une notion de paix et de Dieu intérieur présente dans le christianisme. Annick de Souzenelle parle très bien de cette dimension du "Dieu du dedans", qui n’est pas cette figure extérieure mais qui est en nous. C’est tellement important de pouvoir le vivre comme ça. C’est un vrai chemin intérieur.
Vous pensez, comme Annick de Souzenelle, que la crise écologique ne pourra être résolue sans un travail spirituel?
Je n’ai pas de leçon à donner mais je suis très sensible à cette idée que pour qu’il y ait un réel changement, il doit venir du dedans et donc aussi d’une révolution intérieure. Sans cela, les mécanismes de domination, le fait d’être toujours dans des rapports de pouvoir et pas dans des rapports de fraternité reproduiront sans cesse les mêmes écueils et les mêmes schémas.
Recueilli par Elise LENAERTS
🔎 Bande annonce sur le site de Wild women
Une invitation au voyage intérieur
"Si tu ne vas pas dans les bois, jamais rien ne t’arrivera. Si tu ne vas pas dans les bois, jamais ta vie ne commencera." Ces paroles prononcées dans le calme d’une forêt annoncent le cheminement auquel nous invite Cécile Mavet. Retirée seule pendant six mois dans une cabane, la cinéaste a entrepris un voyage initiatique vers une forme de liberté intérieure. Au rythme de la contemplation, sa caméra saisit un rayon de soleil filtrant à travers les branches des arbres. Elle capture la respiration de la nature, le souffle du vivant.
Elle accompagne ces images de ses réflexions, partageant son exploration intime. Surtout, elle nous délivre la parole de femmes qui ont dédié leur vie à diverses formes de spiritualité. Il y a Nathalie Delay qui enseigne son expérience marquée par la tradition tantrique et le yoga du Cachemire; Annick de Souzenelle, catholique convertie à la religion orthodoxe spécialisée dans l’étude de la Bible et Hayat Nur Artiran, guide spirituel sur la voie mevlevi. Il y a enfin Shefa Gold, membre de l’Alliance pour le renouveau juif et Petite Sœur Elie Emmanuel qui fait partie de la Fraternité Notre-Dame du Désert, là où Cécile Mavet a entrepris sa retraite.
On ressort de ce voyage avec une sensation d’apaisement et une foule de pistes de réflexion pour trouver cette forme de paix intérieure commune à toutes les traditions spirituelles.
✍️ E.L.
Cécile Mavet présentera son film au cinéma Palace à Bruxelles le 30 novembre