Depuis le 26 février dernier, Jaroslav Krawiec envoie à la rédaction de cath.ch, des «notes d’Ukraine». Ce frère dominicain, d’origine polonaise, vit actuellement au prieuré de La Mère de Dieu, situé dans le centre de Kiev.

Les lettres régulières du frère Jaroslav Krawiec s’étaient espacées ces dernières semaines. Le dominicain s’en explique: « Depuis que la vie à Kiev est devenue plus calme et plus normale, il est plus difficile de se forcer à écrire. » Et pourtant, souligne-t-il, « chaque fois que je parle avec des frères et des volontaires en Ukraine, nous répétons constamment : le monde libre et démocratique ne doit pas oublier cette tragédie, et nous avons le devoir de continuer de le rappeler aux gens.«
Le dominicain vivant à Kiev prend la comparaison de la course de chevaux: « La guerre exige une grande endurance, et pas seulement pour les soldats. Nous tous, les gens ordinaires du côté de la bonté et de la vérité – devons être patients et solidaires les uns des autres. Nous ne devons pas trop ralentir dans la course car le but est toujours devant nous. Aujourd’hui, personne ne doute probablement que cette guerre, qui a commencé il y a plus de cinq mois, est une course de fond.«
A l’hôpital
Un autre motif pour lequel le religieux originaire de Pologne envoyait moins de correspondances concerne sa santé: « J’ai passé les derniers jours de juin à l’hôpital. Il était temps d’enlever les vis et les attelles métalliques de la jambe que je me suis cassée il y a plus d’un an. Ce séjour à la clinique de traumatologie orthopédique en temps de guerre a été une expérience intéressante. De nos jours, la majorité des patients sont des soldats.«
Ce qui frappe le frère Jaroslav Krawiec tient aux réalités humaines touchées par le conflit: « des centaines de soldats et de civils souffrent de toutes sortes de blessures chaque jour. Je continue de voir des photos sur les médias sociaux de soldats sans bras ou sans jambes, accompagnées d’appels dramatiques de leurs familles pour un soutien financier pour acheter des prothèses ou commencer un traitement coûteux.«
Entraide nécessaire
Une rencontre a particulièrement marqué le religieux dominicain, en la personne d’Artem, « un homme d’affaires de Kiev un peu plus jeune que moi. » Ce businessman qui avait délaissé la course à l’argent pour défendre son pays a été blessé lors d’un combat. « Alors qu’il combattait à Bakhmut, dans la région de Donetsk, raconte le dominicain, [Artem] a été touché par un fragment de bombe à fragmentation qui s’est logé dans son genou. Il m’a montré un petit morceau de métal, de la taille d’un grain de riz que le chirurgien venait de lui retirer. Quant à ses amis, les éclats d’obus les ont blessés au visage, aux poumons et aux mains. En écoutant son histoire, je me suis rendu compte qu’il y a une raison pour laquelle ce genre de munitions de couverture de zone est interdit par de nombreux pays dans le monde.«
Dans son récit, Jaroslav Krawiec constate aussi la détermination du personnel médical : « Les hôpitaux fonctionnent à plein régime, grâce à la détermination des médecins et du personnel médical ukrainiens, ainsi qu’au soutien de la communauté internationale. Dans les étages de l’hôpital où les soldats sont soignés, il y a des volontaires spéciaux qui apportent une meilleure nourriture et tout ce dont ils ont besoin. La chambre où j’étais avec Artem a été visitée par une jeune femme qui a apporté à mon compagnon de chambre toutes sortes de délices. Moi, en tant que patient régulier, j’ai continué à manger la nourriture de base de l’hôpital. Une aide et des soins comme ceux-ci pour les soldats qui reviennent des lignes de front sont absolument nécessaires.«
« C’est notre maison… Où irions-nous? »
A la sortie de l’hôpital, le dominicain de Kiev visite ceux qui ont trouvé refuge dans un couvent voisin. « Très souvent cependant, les personnes qui ont été lourdement touchées par la guerre sont paralysées par la situation et ont du mal à quitter leurs lieux familiers. Je l’ai vu de mes propres yeux il y a quelques semaines, à Kharkiv, lorsque j’ai rendu visite à des familles qui vivaient déjà depuis quelques mois dans les sous-sols d’immeubles d’habitation du grand quartier de Saltivka. Ils ne cessaient tous de répéter: «C’est notre maison… Où irions-nous?… Nous ne connaissons personne en Ukraine occidentale ou à l’étranger… La guerre doit se terminer à un moment donné.»

Le prêtre de ce lieu aidé de nombreux volontaires gère l’envoi de nourriture vers l’Est et le sud de l’Ukraine. « Nous voulons que les gens qui vivent là-bas sachent que nous ne les avons pas oubliés« , insiste le père Misha.
Un festival était organisé pour les familles de Borodyanka, une des villes les plus détruites des environs de Kiev. « Chaque semaine, de plus en plus de gens retournent dans leurs maisons, ou ce qu’il en reste« , constate Jaroslaw Krawiec dans son récit. « Les gens reviennent sans cesse et essaient de recommencer leur vie d’une manière ou d’une autre. C’est difficile car la plupart d’entre eux n’ont pas d’emploi et sont obligés de vivre des subventions de l’État et de l’aide humanitaire. Si cette aide cessait d’arriver, de nombreuses familles souffriraient de la faim.«
« Je ne voulais pas partir »
La lettre de Kiev, envoyée le 26 juillet, termine par le récit d’une rencontre entre le frère dominicain et une voyageuse: « Alors que je roulais vers la Pologne, après presque six heures d’attente à la douane, je me suis arrêté dans un village pour avoir un peu de paix et passer un appel téléphonique. Il faisait déjà nuit. Après un moment, j’ai vu les phares d’une voiture qui arrivait derrière moi. J’ai d’abord pensé qu’il s’agissait de la patrouille frontalière qui s’intéressait à moi ou, pire encore, la police qui venait me donner une contravention pour m’être arrêté à l’arrêt de bus. Au lieu de cela, une jeune femme est venue vers moi et a demandé de l’aide en ukrainien.
«Y a-t-il un hôtel dans le coin? Je suis en voiture avec mon enfant depuis Kharkiv, et je ne peux plus conduire. Et pour couronner le tout, mon téléphone ne fonctionne pas.» Je n’ai pu trouver qu’un hôtel à Lublin, à environ une heure de route. J’ai conduit devant eux pour les aider à atteindre leur destination en toute sécurité. Svietlana a expliqué qu’ils venaient juste de décider de quitter Kharkiv. Avant, ils avaient réussi, tant bien que mal, à survivre, mais maintenant, il y a un poste militaire ukrainien près de leur maison. «J’ai peur que lorsque les Russes l’apprendront, ils commenceront à tirer dans notre direction. Je ne voulais pas partir. Je viens de terminer la construction d’une grande et nouvelle maison. Cela a pris vingt ans de ma vie».
Elle a partagé son histoire, visiblement secouée, au milieu de la nuit, dans un pays qu’elle n’avait jamais vu auparavant. La guerre lui a volé, à elle et à sa famille, vingt ans de rêves et de travail acharné. J’ai vu qu’elle est plutôt aisée. Maintenant elle conduit sa voiture avec sa mère et son fils et avec quelques affaires, à travers la Pologne vers l’Europe occidentale.«
Ce récit se conclut par l’expression de « notre gratitude pour l’aide apportée à nous et à l’Ukraine, et avec une demande de prières.«
(D’après Cath.ch)