Entrée dans l’Ordo Virginum à Odessa, Elena Punda a été envahie par un sentiment de paix depuis la guerre. Ayant décidé de rester sur place, elle prie pour l’âme des soldats russes morts au combat.

Lorsqu’Elena a appris que l’armée russe avait franchi la frontière ukrainienne, elle s’est rendue dans la cathédrale de la bienheureuse Vierge Marie d’Odessa, rue Katerynynskaya en plein centre-ville, où elle a l’habitude de prier. A genoux, elle a interrogé le Christ sur ce qu’elle devait faire: partir ou rester. Un long silence a alors précédé la réponse: « J’ai attendu et soudain j’ai ressenti une grande paix. Cette paix en temps de guerre, m’a fait comprendre que c’est ici que je dois être. » Rassérénée, Elena a décidé de poursuivre ses engagements « avec une intensité décuplée », et de rester dans la ville, ce haut-lieu des plaisirs estivaux et de la culture slave, transformé depuis le 24 février, date du déclenchement de l’invasion russe, en forteresse militaire.
Deux messes par jour
Dans Odessa militarisée, soumise régulièrement aux alertes aériennes, parcourue de patrouilles militaires aux aguets et barrée de sacs de sables défensifs, Elena Punda fait l’effet d’une apparition apaisante. Les fines ridules autour de ses yeux irradient une joie secrète et son sourire révèle une tendresse pour l’humanité, même brutale, même misérable. Devenue membre consacrée de l’Ordo Virginum (ordre des vierges) il y a un an, elle se rend à la messe deux fois par jour et consacre une grande partie de son temps à la prière. Comme elle, les membres de l’Ordo Virginum vivent un engagement nuptial avec le Christ et cherchent dans la contemplation à hâter le jour où « les Noces de l’Agneau », avec l’humanité tout entière réconciliée, seront pleinement réalisées. « Signes de l’Amour de l’Eglise pour le Christ », elles renoncent aux relations charnelles, mais se vouent au service de l’Eglise. Elena Punda s’occupe ainsi du secrétariat du diocèse catholique d’Odessa à Simferopol, ville qui est actuellement située en Crimée russe. Il s’agit de gérer la correspondance de la curie, les relations avec les Eglises orthodoxes, majoritaires à Odessa, ou la gestion humaine de ces temps difficiles. « En ce moment, nous avons beaucoup de travail pour gérer l’aide humanitaire, recevoir et distribuer les dons envoyés », soupire Elena.
Dans la cathédrale pourtant, peu de fidèles entrent ou sortent. Comme le reste de la ville, elle semble frappée de stupeur deux mois et demi après le déclenchement des violences. « Les fidèles sont moins nombreux aujourd’hui, car beaucoup sont partis », confie-t-elle, en déambulant dans la cathédrale vide où le comte de Langeron, gouverneur d’Odessa, co-fondateur de la ville, a désormais sa tombe. « Mais ceux qui restent ont besoin d’attention et de consolation. » Ouverts à tous, sans distinctions, les services continuent de se faire en russe, en ukrainien, en polonais. « Nous pensons qu’il est très important de faire des messes pour les âmes du purgatoire », explique Elena, « car c’est grâce à notre intercession que la paix peut revenir ». Elle prie plus particulièrement pour l’âme des Russes morts au combat, sensible à leurs voix en quête d’apaisement.
Baptisée en secret
Cette vie de prière inscrite dans un des hauts-lieux du catholicisme en Ukraine, n’était pas une évidence pour Elena. « Ma mère était catholique et m’a baptisée en secret, mais j’ai grandi dans une ambiance anti-religieuse et très soviétique », se souvient-elle. « Les gens de notre ville, Khmelnitsky disaient qu’il ne fallait pas aller à l’église. » Cette vision du monde contrarie cependant très vite la jeune Elena qui ressent une aspiration profonde à la vie contemplative. « Dans les années 1990, un prêtre catholique est revenu, ouvrir l’église et ma mère m’a alors incitée à y retourner. » Dans un premier temps, Elena s’y rend surtout pour retrouver un garçon dont elle est amoureuse. « Je n’avais pas la foi mais je me sentais interpellée par le Christ et puis Dieu a fait sa part de chemin. »
Lorsqu’elle quitte sa ville natale à 18 ans, elle travaille à Kyiv au sein de l’ONG Caritas. Toujours tentée par une vie plus engagée au service du Christ, elle entre chez les soeurs missionnaires de la charité (de Mère Teresa). Commence alors un long voyage à travers le monde, en Russie, en Italie, en Islande, pays où elle est soudain prise par les tourments du doute. « Je ne doutais pas de mon amour pour le Christ, mais j’avais un attrait pour le silence et la prière que mes activités ne me donnaient pas l’occasion de vivre. » Elle décide de quitter la congrégation et part seule à la rencontre de cette voix intérieure qui ne cesse de venir toquer à sa porte. Elle s’engage librement aux côtés d’un évêque en Espagne, puis part aux Etats-Unis et se livre à une forme de spiritualité errante. Lorsqu’Elena rentre en Ukraine, les tensions entre les deux pays frères et voisins, l’Ukraine et la Russie ne cessent pas de croître. Elle décide alors, en réponse à cette violence, de formaliser sa vie dédiée à Dieu en entrant dans l’Ordo Virginum.
Après seulement quelques mois de guerre, elle éprouve un sentiment d’évidence, la conviction qu’elle est enfin là où elle doit être. « Il y a beaucoup de jeunes à Odessa qui pensent que Dieu n’existe plus ou qu’il est parti. J’ai même entendu que certains prêtres avaient fui et cela m’a profondément choquée », témoigne-t-elle sans nommer quiconque. Face au choix qu’ont fait également les moines de Tibhirine, en Algérie lorsqu’ils étaient menacés par la violence djihadiste, Elena a une vision claire: « Si les prêtres s’en vont, c’est Dieu qui part. » En bon pasteur qui donne sa vie pour ses brebis, Elena ne peut envisager la fuite. Alors, dès qu’elle le peut, elle quitte sa vie active projetée au front de l’actualité pour chercher Dieu et creuser, mains nues et ouvertes, la profondeur de son alliance avec le Christ, espérant contribuer à la paix des âmes.
Laurence D’HONDT, envoyée spéciale

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