La fête de Pâques orthodoxe a été l'occasion de vérifier une Eglise très divisée suite à l'invasion russe en Ukraine. La question de l’allégeance à Moscou se pose désormais.
Samedi 23 avril, veille de la fête de Pâques orthodoxe, le petit aéroport de la ville roumaine de Iasi sur la frontière moldave, a été le théâtre d’un événement inédit dans l’histoire de l’orthodoxie. Revenant de Jérusalem, le prêtre Andrei Zlavog est descendu sur le tarmac en amenant deux bougies saintes qu’il a transmises, sous une pluie d’orage, au Métropolite de Bessarabie (région située dans l'actuelle Moldavie) et au métropolite de Bukovine (territoire situé, en partie, en Roumanie.
Ensemble, ils ont célébré cette nuit de Pâques dans les locaux de l’aéroport avant d’amener la lumière dans les paroisses de leur territoire respectif. "C’est un signe fort de paix", a souligné le directeur de la communication de l’archidiocèse de Iasi. "Il s’agit aussi de se démarquer de l’attitude belliciste du patriarche de Moscou".
Le patriarche Kyrill de Moscou qui a ouvertement appuyé l’invasion russe en Ukraine a créé en effet un profond schisme dans les rangs des fidèles et des patriarches du monde orthodoxe. "Cette guerre est une tragédie, mais elle a rapproché l’Eglise ukrainienne qui était traditionnellement tournée vers Moscou et l’Eglise roumaine, tournée vers la Grèce", souligne le père Teofan, assis avec son chapelet sur un banc devant la grande cathédrale de Iasi. Dans ce vaste ensemble religieux, des réfugiés ukrainiens, des pèlerins moldaves et des fidèles roumains se côtoient désormais. Et en ce jour de Pâques, ils se signent et prient côte à côte. Une vision qui attendrit le visage du père Teofan, en suggérant à demi-mots qu’une fracture profonde risque de séparer le patriarcat de Moscou des autres églises orthodoxes dans les décombres de cette guerre entre frères chrétiens.
Odessa, tournée vers l’Occident
A quelques centaines de kilomètres de Iasi, Odessa fête, elle aussi Pâques. Mais dans cette ville mythique du bord de la mer noire, dessinée par le duc de Richelieu et aimée de Catherine II, ville de la pègre et de la culture, les messes ont toutes été annulées. Plusieurs missiles sont tombés la veille de Pâques au sud de cette ville d’Ukraine, faisant huit morts et éventrant un immeuble d’habitation. Alors qu’elle avait été jusqu’à présent quasi épargnée, cette attaque a bouleversé l’esprit de la fête, contraignant les églises à reporter leurs traditionnelles messes de nuit.
Mais il n’y a pas que cette attaque qui tourmente la paix des églises en Ukraine: dans chaque paroisse, la question de l’allégeance à Moscou se pose désormais. "Nous ne pouvons pas suivre Moscou", glisse, l’un des pères en charge de l’église de la Trinité à Odessa, traditionnellement rattachée à Moscou. En 2019, le patriarcat de Constantinople a décidé de reconnaître l’indépendance de l’Eglise ukrainienne, une décision unique dans l’histoire de l’Eglise qui a mis fin à quatre siècles de subordination de l’église ukrainienne à Moscou. Depuis que la guerre a commencé, ce schisme a atteint la majorité des paroisses ukrainiennes. "Avant, il y avait dans cette église différentes sensibilités. Certaines étaient très prorusses", confie une dame d’origine grecque, venue glisser le nom d’un proche souffrant devant une icône mariale. "Aujourd’hui, je ne pourrais plus parler à ceux qui soutiennent une agression contre notre pays…"
Laurence D'HONDT
👉 Cet article est publié dans le journal Dimanche n°17 daté du 1er mai 2022.