Franz Clément, ancien bourgmestre de Martelange et docteur en sociologie, vient de publier aux éditions Mémory à Sainte-Ode un ouvrage intitulé Légendes de la Forêt d’Anlier. L’auteur nous dévoile son ressenti sur les connotations religieuses révélées par ces anciens récits.

L es légendes ne doivent pas être confondues avec les contes. Ces derniers sont de pures inventions de leurs auteurs tandis que les premières sont toujours révélatrices d’éléments passés autour desquels un récit a été construit par la tradition populaire. Les légendes du pays de la Forêt d’Anlier, comme bien d’autres un peu partout ailleurs, révèlent la manière dont les gens vivaient à une certaine époque. Elles sont aussi porteuses de messages empreints de croyances, de religiosité, voire de superstitions et de mystères.
En filigrane
La religion catholique, c’est clair et net, a imprégné les habitants de nos provinces au moment où la plupart de ces légendes régionales ont été recueillies, soit essentiellement au XIXe siècle. La religion n’apparaît pas comme personnage central des récits, mais est le plus souvent présente en filigrane, preuve de son importance et surtout de sa prégnance à l’époque. Elle intervient de plusieurs façons.
Les habitants des contrées sont craintifs, ils ont peur et pour se protéger ils vont implorer Dieu, comme les habitants du hameau de Bodange, réunis dans leur chapelle, priant pour que le Ciel assène une correction à des chevaliers aux comportements odieux.
La religion sera aussi sujette à des querelles « de clocher », ce qui n’est pas peu dire. Il en va ainsi des habitants de Heinstert et de Perlé qui vont se disputer la propriété d’un ancien ermitage situé dans la forêt et pour lequel la justice civile va devoir intervenir. Une autre forme de justice, la divine cette fois, fera son apparition dans le conflit pour faire se déplacer d’un village à l’autre la statue d’un saint marquant ainsi une préférence pour une localité, contredisant la justice humaine.
La religion interviendra encore de manière très précise pour marquer la piété de telle ou telle personne, comme une certaine Marie-Louise de Habay-la-Neuve qui fera bâtir une chapelle dans les bois; le récit va jusqu’à mentionner le nom du curé de l’époque qui consacrera l’édifice.
La religion se fera aussi protectrice de biens plutôt que de personnes. Les ouvriers ayant construit le vieux pont de Martelange seront déçus de voir l’une de ses trois arches s’effondrer dans la Sûre. Pour que la chose ne se reproduise plus ils placeront une croix sur les parapets de l’ouvrage.
La religion sera facteur de conversion, comme à Sainlez où elle finira par remplacer d’anciens cultes voués à des dieux païens relevant de la mythologie ancienne.
La religion protégera certains espaces comme celui de cette prairie à la lisière de la forêt, à Martelange, où le diable avait tenté d’acheter à un vieux fermier l’âme de sa fille. Le curé du village passera à cet endroit, le bénira, et Satan n’y apparaîtra plus jamais.
La religion, enfin, va se mêler à l’histoire et s’affirmer sous les traits d’un ancien prêtre ayant réellement existé au hameau d’Œil, prêtre qui pourfendra les soldats français après 1789 afin de les empêcher de procéder à la conscription et de piller les églises.
Peur, superstition et oubli
Mais la religion catholique se trouvera parfois mêlée intimement, bien malgré elle certainement, aux superstitions comme dans ce récit d’une nuit de Noël où un fermier se rendra près d’un étang persuadé qu’à minuit l’eau se change en vin tandis que son épouse se cachera dans l’écurie pour surprendre la prière des animaux, agenouillés dans les lieux au moment de la consécration durant la messe de minuit. La religion ira jusqu’à s’effacer parfois pour laisser la place à des éléments qui se situent à sa périphérie comme le diable, les sorcières, les nutons, les cartomanciennes…
Se plonger dans d’anciens récits légendaires permet réellement d’appréhender les manières diverses dont les habitants se comportaient il y a longtemps et auxquels ils croyaient. La nuit, l’obscurité sera ainsi souvent le cadre, peut-être le prétexte, à appeler la religion au secours pour combattre les superstitions. La peur sera le grand facteur de recours au religieux et aux exorcismes les plus divers. Mais surtout l’évolution de la société que nous connaissons nous montrera aussi combien tout ce qui pouvait revêtir tant d’importance autrefois, a fini par tomber dans l’oubli à présent.
Franz Clément, Légendes de la Forêt d’Anlier, Editions Memory, 20€.
L’auteur donnera une conférence intitulée « Légendes régionales et racines religieuses » le 28 janvier à la communauté des Frênes, à Warnach.

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