En prélude à un déplacement destiné à commémorer le centenaire des relations diplomatiques entre la France et le Saint-Siège, Jean Castex a été reçu par le pape François le 18 octobre. Tous deux ont notamment échangé sur le rapport de la Commission Sauvé.

Si la visite du Premier ministre au Vatican était prévue de longue date, en revanche l’actualité liée à la publication du rapport de la Commission Sauvé sur les abus sexuels dans le clergé s’est invitée à la dernière minute et il était difficile de ne pas l’aborder. A l’issue de l’audience privée durant laquelle la pape François s’est entretenu durant 35 minutes avec Jean Castex, ce dernier a déclaré aux journalistes que le pape lui aurait confié qu’il trouvait que l’Église catholique en France avait fait un acte «courageux» en commandant ce rapport Le pontife, a-t-il précisé, serait confiant dans la capacité des évêques français de «tirer les conclusions» nécessaires, considérant qu’ils ne sont pas, selon lui, dans le déni.
Concilier secret de la confession et droit pénal
Sur la question épineuse du secret de la confession, Jean Castex a considéré que l’Église catholique ne reviendrait pas sur ce ‘dogme’. Il a en revanche insisté sur la nécessité de «trouver les voies et moyens pour concilier cela avec le droit pénal, le droit des victimes». «C’est un travail au long cours», a-t-il souligné.
Pendant le reste de l’entretien, les deux hommes ont largement évoqué les points de convergence entre la diplomatie française et celle du Vatican. Ils se sont arrêtés en particulier sur le Liban et l’Irak. Ils ont aussi parlé de la COP26 à Glasgow (le pape ne s’y rendra pas), et de la question connexe du réchauffement climatique.
«C’était un échange très apaisant. J’ai trouvé un pape joyeux, dynamique, avec de l’entrain», a commenté le Premier ministre qui a invité le pontife à venir en France.
France–Saint-Siège: une entente très cordiale
Après le traditionnel échange de cadeaux – une mosaïque issue de l’Atelier des mosaïques du Vatican et plusieurs livres et documents de la part du pape; un maillot du Paris Saint-Germain floqué au nom de l’Argentin Lionel Messi et dédicacé ainsi qu’une première édition du roman Notre-Dame de Paris de Victor Hugo de la part du chef du gouvernement français – la délégation française (avec Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères et de Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur) a visité la chapelle Sixtine puis la basilique Saint-Pierre avant de rejoindre la Villa Bonaparte, siège de l’ambassade de France près le Saint-Siège. C’est en effet ici qu’était commémoré le centenaire des relations diplomatiques entre la France et le Saint-Siège, à l’occasion duquel le cardinal Secrétaire d’État Pietro Parolin a reçu les insignes de Commandeur de l’ordre de la Légion d’honneur.
A cette occasion, Jean Castex a vanté «l’esprit de concorde» qui unit le Saint-Siège et la France. Il a voulu répondre aux «inquiétudes » suscitées par la récente Loi confortant les principes de la République. Selon lui, cette législation adoptée en août dernier (loi dite « sur le séparatisme » à propos de laquelle le Vatican a fait part de ses inquiétudes) n’opère pas «un changement de paradigme de la laïcité républicaine» mais vient au contraire la «consacrer en l’adaptant au temps présent». Il s’agissait, a-t-il insisté, d’actualiser un régime d’organisation des cultes tombé «en obsolescence».
Le Premier ministre a également souligné le bon fonctionnement de la laïcité à la française: «Dès lors qu’elle est conforme à l’esprit comme à la lettre de la Loi de 1905 […], la Laïcité n’a pas besoin de qualificatifs».
L’Histoire de France, née dans la cuve d’un baptistère» à Reims
Le mot clé employé par Jean Castex dans toute son adresse était celui de la concorde, répété huit fois: il a souligné le lien «millénaire, au point d’être qualifié de filial» qui unit la France à l’Église catholique. Et situé l’acte de naissance de l’Histoire de France «dans la cuve d’un baptistère» à Reims en 498 – lors du baptême de Clovis. Une phrase qui a fait son effet dans l’auditoire: «C’est quand même fort de rappeler cela quand on est Premier ministre», a commenté un prêtre français résidant à Rome.
Le discours de Jean Castex semblait adressé, au-delà du Saint-Siège, aux catholiques français: «Je ne laisserai pas dire, comme certains le laissent à penser, que les catholiques sont en France au mieux écoutés, rarement entendus, au motif que la France se séculariserait», a-t-il ainsi affirmé.
«L’émotion légitime» suscitée par le rapport Sauvé
À la fin de son long discours, le Premier ministre a rapidement abordé la question des abus dans l’Église de France, en soulignant «l’émotion légitime» qu’il avait suscitée, en saluant ensuite le courage des victimes puis en apportant son soutien à l’Église en France «qui a commandé ce rapport et permis à cette commission de travailler en totale indépendance». «Il lui appartient maintenant de trouver les réponses nécessaires», a-t-il affirmé. Néanmoins, il a souligné que la séparation de l’Église et de l’État n’était «en aucun cas la séparation de l’Église et de la Loi», une allusion possible au récent débat sur le secret de la confession.
Cardinal Parolin: une estime constante et réciproque
Juste avant le discours de Jean Castex, le secrétaire d’État du Saint-Siège, s’exprimant en français, est revenu en détails sur le cheminement qui amena à la reprise des relations diplomatique entre la France et le Saint-Siège en mai 1921 après le « divorce » de 1904. «Le climat de cordialité qui a caractérisé ces relations depuis lors montre que cette estime est constante dans le temps et sans doute réciproque», s’est félicité le cardinal.
Selon le numéro 2 du Saint-Siège, 1921 a sanctionné une «approche différente de l’Église en France vis-à-vis de l’État et de sa laïcité». Cette question, il l’a décrite comme «complexe et toujours d’actualité» – donnant en exemple la récente Loi confortant les principes de la République. Le cardinal italien a enfin rapporté une mise en garde faite par le pape François: «les temps des confessionnalismes sont finis, mais aussi, on l’espère, les temps d’un certain laïcisme qui ferme les portes aux autres et surtout à Dieu».
La «blessure des abus»
Revenant lui aussi sur le rapport de la Commission Sauvé, il a confirmé l’engagement «encore plus fort et déterminé» de l’Église catholique pour lutter contre les abus sexuels. Un combat, a-t-il souligné, qui doit se faire «en pleine coopération avec les autorités civiles», mais, a-t-il nuancé «dans le respect de la mission et de la structure sacramentelle de l’Église» – comme une allusion, là encore, aux récents débats concernant le secret de la confession.
P.G. (avec Cath.ch et Vatican News)