Depuis quand l’Homme pratique-t-il des rites?


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Depuis quand l’Homme pratique-t-il des rites?
Quel genre de rites pratiquaient nos lointains ancêtres. Quelles en étaient la signification? En ce domaine, les questions sont bien plus nombreuses que les certitudes.
Par Sophie Delhalle
Publié le - Modifié le
5 min

Quand peut-on parler de rituel ? Les rites existaient-ils déjà à l’aube de l’Humanité ? A quoi ressemblaient les rites des hommes préhistoriques ? A quoi servaient-ils ? Pierre Noiret, archéologue à l’ULiège nous dit tout. Ou presque.

A la découverte des rites à l'aube de l'Humanité
Quel genre de rites pratiquaient nos lointains ancêtres? Quelle en était la signification? En ce domaine, les questions sont bien plus nombreuses que les certitudes.

Selon la définition de l’anthropologue belge Luc de Heusch (1927-2012), le rite est un système de communication avec le monde imaginaire ou mythique, au moyen de gestes mais aussi du langage. Un domaine qui intéresse aujourd'hui certains paléolithiciens, même si les traces de ces premières activités rituelles sont très rares. Répondre à la question "Quand sont apparus les premiers rituels ?" relève quasiment de l'impossible. Mais il n'est pas interdit d'émettre des hypothèses.

De la difficulté de ‘tracer’ les rites

"La grande difficulté pour les archéologues, explique Pierre Noiret, est de pouvoir imaginer, parmi tous les gestes et activités des premiers hommes, lesquels relèvent exclusivement du rituel". Sachant que, précisément, les traces laissées par ces pratiques sont rares, les gestes et le langage ayant disparu. Les chercheurs n’ont donc pas d’autre solution que de repérer des traces d'activités qui sortent des fonctions de la vie quotidienne (aménagements de l’habitat, préparation de la nourriture, organisation de la chasse, …) pour entrer dans le domaine du rituel et/ou du symbolique.

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La composition de parures ou l’usage de colorants, la présence de traits organisés, d’incisions gravées sur des objets révèlent l’existence d’activités d’ordre symbolique il y a 100 000 ans déjà, en Afrique, au Proche Orient mais également en Europe. C’est également à cette époque qu’apparaissent les premières sépultures.

Le rite du cannibalisme remonte à 800 000 ans

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Dans les grottes décorées comme celles de Lascaux, les peintures sont volontairement déformées pour s’assurer que le spectateur en contrebas les admire dans les bonnes proportions.

Parmi les rites les plus anciens, le cannibalisme – attesté par la présence de coups, découpe, brulures sur des ossements humains – dont on retrouve des traces en Espagne datant de 800 000 ans. Mais encore une fois, la proportion et la dimension rituelle de cette pratique sont très difficiles à évaluer, souligne notre archéologue liégeois. Même si son caractère religieux laisse en réalité peu de doute.

Des lieux rituels à valeur communautaire

Ce qu’on connait mieux, a contratrio, ce sont les lieux dans lesquels les premiers hommes pratiquaient des rites élaborés. Dans les grottes décorées comme celles de Lascaux, où les peintures sont volontairement déformées pour s’assurer que le spectateur en contrebas les admire dans les bonnes proportions. Ce qui fait dire à notre expert, « elles sont faites pour être vues ». L’art déployé dans les grottes peintes est parfaitement maitrisé, ce qui suggère une forme de professionnalisation des artistes dont le style reconnaissable peut être identifié sur différentes sites.  

Ces lieux dédiés aux rituels ont également une valeur communautaire. Leur mise en valeur et/ou leur construction nécessite en effet l’effort et l’investissement de tous, ou du moins d’une grande partie de la tribu. Un bel exemple est celui de Göbekli Tepe dans l’est de Turquie, site néolithique datant de 10 000 avant J-C. Les lieux ont été organisés à l’aide d’énormes pierres ouvragées pesant plusieurs tonnes ; nous sommes, sans aucun doute possible, face à un site dédié aux rituels car « ça ressemble à tout sauf à un village » explique Pierre Noiret. Mais quelle(s) en étai(en)t la(/les) fonction(s) exacte(s) ? Mystère.

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Le site néolithique de Göbekli Tepe, dans l’est de Turquie, était destiné aux rituels et non à l'habitat. CC-BY-tonynetone

A Stonehenge, qui date de la fin de Néolithique (vers 2500 avant J-C), des cérémonies saisonnières étaient pratiquées comme le laisse à penser l'orientation du monument alignée sur la position du soleil et plus particulièrement des solstices. L’étude des restes d'animaux abattus atteste d’une activité rituelle plus intense lors du solstice d’hiver.   

Sacré et profane sur le même pied

A l’aube de l’Humanité, le sacré intervient souvent dans la vie quotidienne. Pour preuve, l’étude contemporaine des rites de chasse chez les peuples sibériens ; les hommes doivent respecter certaines règles et se soumettre à certains rites avant, pendant et après la chasse. Interdiction par exemple d'évoquer le nom de l’animal à chasser. Parce que son esprit pourrait capter l’intention de l’homme et donc se cacher pour lui échapper. On n’entre pas non plus dans sa maison sans avoir pris un certain nombre de précautions.  

L’anthropologie des chasseurs cueilleurs montre bien qu’il n’y pas de séparation entre activités sacrées et profanes ; cette séparation est une conception moderne qui apparait au 17e siècle avec la révolution cartésienne.

Le rite existait incontestablement dès la Préhistoire

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A Stonehenge, qui date de la fin de Néolithique (vers 2500 avant J-C), les chercheurs ont conclu que des cérémonies saisonnières y étaient pratiquées car le monument est orienté selon la position du soleil.

Il ressort de tout cela que, dans l'étude des rites préhistoriques, il n’y a pas de généralisation possible. La seule certitude étant la place importante et complexe du rite dans la vie quotidienne des premiers hommes.

Car, malheureusement, « Ce que [les hommes préhistoriques] ont pu faire a en grande partie disparu quand on parle du rite », admet notre spécialiste. Mais la question du rite est incontestablement préhistorique. « Il est en fait le fruit du questionnement des premiers hommes face au monde qui les entoure. Ils ont cherché des réponses, traduites par des rites, très variés selon les groupes ».

Sophie DELHALLE

Catégorie : L'actu

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