« L’automne est aussi une saison qui commence« , écrivait Paul Claudel. Les chaises longues repliées, remisées, les sandalettes rangées fin septembre, chacune, chacun tend le visage vers le semblant d’été indien et son soleil trop souvent refusé. Si le printemps me renouvelle, l’automne m’enchante. Sur les feuillages, je suis des yeux les touches jaunes qui progressent d’un jour à l’autre; une lumière s’en dégage jusqu’à la flambée finale avant la chute des feuilles différentes les unes des autres. Le chêne, le hêtre pourpre, l’acacia doré, le liquidambar, le ginkgo biloba… Une splendeur qui provoque mon émerveillement bien plus que la mélancolie.
Déjà aux boutiques des fleuristes, sur les marchés, devant l’entrée des grandes surfaces, se multiplient les pots de chrysanthèmes, asters, pomponettes multicolores. Pour peu qu’un rayon s’y attarde, ces fleurs resplendissent et transfigurent les temples de la consommation aux publicités provocantes. Bientôt la déambulation lente, le repérage des sépultures familiales, la prière, dans le souvenir de ce qui nous reste d’essentiel de ces en allés avant nous. Il est souvent question du deuil, de son travail plus difficile en temps d’épidémie, de confinement drastique ou d’absence de corps lors d’attentat.
Ne serait-ce pas dommage que l’excitation d’Halloween porte ombrage au recueillement du 2 novembre dans le sillage de la célébration de Tous les Saints (dont la plupart des nôtres ne sont pas canonisés sans être moins admirables pour autant)? Ces deux fêtes me paraissent intimement liées; elles disent quelque chose d’un espace, tout à la fois mesuré et infini: celui de notre vie, de notre généalogie, cet ancrage au cœur même du fugitif. Elles nous convient à la reconnaissance, à l’admiration stimulante. Célébration dans l’église et balade dans la nature; sédentaire et nomade; personnelle et collective. On épingle les dates, on observe les photos, on détaille une sculpture éloquente. Lorsque les enfants étaient petits, j’étais à l’écoute de leurs réflexions et questions surprenantes.
Me remontent en mémoire les vers de Victor Hugo partant dès l’aube vers sa fille Léopoldine, noyée accidentellement avec son mari.
Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur
Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.
Sans que rien ne puisse le distraire, il lui porte les symboles du souvenir tenace: le houx gardant sa couleur et la bruyère perpétuant sa floraison.
Certains cimetières ont acquis une réputation pour leur beauté – le cimetière marin de Paul Valéry à Sète –, les noms célèbres qui attirent les foules – Le père Lachaise –, leur charme ancien suggéré par Paul-Jean Toulet:
Dans Arles où sont les Alyscamps,
Quand l’ombre est rouge, sous les roses,
Et clair le temps,
Prends garde à la douceur des choses
Lorsque tu sens battre sans cause
Ton cœur trop lourd,
Et que se taisent les colombes:
Parle tout bas, si c’est d’amour,
Au bord des tombes. (En Arles)
A l’étranger, j’aime visiter les cimetières insolites, tels le cimetière juif de Prague et ses pierres enchevêtrées, les monuments funéraires portugais comme de vraies maisons, les arbres plantés dans la terre de Reykjavik. Sans aller loin, j’apprécie les stèles du Jardin du souvenir au sommet des Fours à chaux de Tournai, pendant du Jardin des naissances.
Plus simplement, nous demeurons attachés à nos cimetières fréquentés depuis l’enfance sous la pluie drue aussi bien que par gel ou temps doux. Pour les personnes en chambres de soins, le renoncement à ce pèlerinage annuel s’avère cruel. J’aime penser que notre tombe du Jardin des poètes, au sommet du Mont Saint-Aubert, offrira un vaste paysage à nos descendants lorsqu’ils nous feront cadeau d’une visite! Nous mesurons à quel point du berceau au tombeau, la voie est libre.
Colette NYS-MAZURE, poète, essayiste et auteure dramatique