Pour réaliser Onoda – 10.000 nuits dans la jungle, le Français Arthur Harari s’est emparé de l’histoire d’un soldat japonais qui refusait de croire à la reddition de son pays.
En 1974, le soldat Hiro Onoda a quitté la jungle dans laquelle il se cachait depuis près de trente ans. Il avait été envoyé sur l’île de Lubang dans les Philippines, en 1945, au moment où le Japon perdait la Seconde Guerre mondiale. Sa mission était claire: il ne devait abandonner sous aucun prétexte, à moins de recevoir un ordre explicite de son supérieur hiérarchique. D’autres soldats japonais ont connu le même sort, mais Hiro Onoda est le dernier à être sorti de la jungle. Son histoire incroyable a fasciné le réalisateur français Arthur Harari qui en a fait un film de près de trois heures. Onoda – 10.000 nuits dans la jungle nous plonge dans la lutte quotidienne de cet homme, parti avec une poignée de soldats pour mener la « Guerre Secrète ».
Sans pratiquement rien connaître de la culture nippone, il est parti tourner en langue japonaise, au Cambodge. Une véritable aventure qui colle, en quelque sorte, avec celle de son personnage principal. Les plus fins historiens et ceux qui ont lu la biographie d’Onoda remarqueront sans doute que le film d’Arthur Harari ne colle pas précisément aux événements. C’est normal, le réalisateur ayant choisi de construire son propre récit à partir de la figure de ce soldat. Ce qu’il voulait, c’était faire ressentir ces trente années dans la jungle. Les perceptions, émotions et sentiments d’Onoda qui a évolué dans ce milieu hostile pendant de si longues années. Il nous raconte le parcours intérieur d’un homme qui s’autopersuade que la guerre a toujours lieu, décryptant le moindre signe, à la radio, ou dans les attitudes de ceux qu’il rencontre. Cette paranoïa résonne avec celle qu’on peut sentir aujourd’hui, avec les théories du complot et autres fake news. Onoda – 10.000 nuits dans la jungle a donc une portée actuelle, malgré son ancrage historique.
La jungle, personnage à part entière
Mais c’est aussi une expérience sensorielle. Le réalisateur veut nous immerger dans cette jungle, lieu de tous les dangers mais aussi refuge pour Onoda et ses camarades. Quand on passe autant de temps à un endroit, on ne peut être sans cesse sur le qui-vive. Ces arbres, rivières et montagnes sont d’une sauvage beauté. Quand elle ne filme pas les combats, la guerre et discussions stratégiques des hommes, la caméra s’attarde sur cette nature. Ce n’est donc pas qu’un simple film de guerre, ni une biographie. Le film d’Arthur Harari navigue entre action et contemplation. Il tente de percer l’intériorité de ce mystérieux personnage. Car de prime abord on peut difficilement comprendre le cheminement mental de cet homme. Son obstination à rester dans cette jungle malgré les tentatives des différentes personnes, y compris son père, de le faire revenir au Japon. Le film ne nous donne pas de réponse toute faite. Il propose des pistes, celles de l’endoctrinement bien sûr, mais aussi d’autres éléments, liés à la personnalité de cette figure en partie créée par Arthur Harari. Il signe là une œuvre d’une grande richesse, multiple et étonnante.
Elise LENAERTS