Et si l’on parlait vacances ?
Drôle d’idée, direz-vous: les vacances – pour autant qu’on en ait pris – elles sont terminées, déjà se profile la rentrée. Bien sûr. Alors, retirons au mot une seule lettre finale et parlons… vacance, c’est-à-dire vide, absence, mise en congé. Je veux dire: si l’on congédiait, ou tout au moins remettait à sa juste place le déferlement affectif qui, depuis des semaines, tient lieu de pensée dans les médias, sur les réseaux sociaux et jusque dans les relations amicales et familiales?
Osons en effet un moment de lucidité critique. Les sujets de conversations, heureux ou malheureux, n’ont pas manqué durant ces mois d’été: les pluies torrentielles, les inondations, la grève de la faim des sans-papiers, l’inévitable coronavirus et surtout son corollaire obligé (vaccin ou pas vaccin?), jusqu’au pass sanitaire qui n’existe pas en Belgique mais "qui ne saurait tarder, puisqu’il est en vigueur en France": tout est prétexte à faire connaître son opinion, à critiquer celles et ceux qui sont d’un autre avis et à verser dans l’ultracrepidarianisme, désignant le fait de parler doctement de choses qu’on ne maîtrise pas vraiment. Et à propos, petite minute de gai savoir: ce mot vient d‘une locution latine – Sutor, ne supra crepidam – qui signifie Cordonnier, pas plus haut que la chaussure!, c’est-à-dire ne parle pas de ce qui te dépasse.
Absence de recul
Belle sagesse qui, si elle était adoptée par la plupart d’entre nous, ferait fameusement baisser la fièvre affective qui masque mal l’anémie dont souffre la raison. Un matin de juillet, le seul titre qui ouvre les infos à la radio de service public, c’est: "Pendant la pandémie, le taux de mortalité due au Covid dans les hôpitaux a connu de grands écarts selon les régions". Enoncé ainsi, ça se présente comme fait réel. Sauf qu’on ne saura pas de quels hôpitaux il s’agit, ni les causes précises de cette disparité. Demeure donc un sentiment d’injustice et de vague anxiété (ciel, mourrait-on davantage dans l’hosto qui est près de chez moi!). D’analyse, il n’en sera point question et d’ailleurs, le lendemain, on passe à autre chose. Les inondations ont, quant à elles, légitimement provoqué un torrent de sentiments – compassion, tristesse mais aussi colère et sentiment d’injustice – qui s’est tari avec la décrue. Or, c’est maintenant, en ces temps d’un quotidien qui doit être d’une lourdeur sans nom pour les sinistrés, qu’on aimerait savoir comment ils s’en sortent, ce qui va être entrepris (ou non) pour remplacer les innombrables habitations détruites, quel lien concret l’on doit faire – s’il existe – entre ces inondations, les incendies qui ravagent des Etats étrangers et le dérèglement climatique. Etc., etc. Et que l’on n’évoque point la programmation d’été pour justifier cette absence de recul dans les média audiovisuels: la presse écrite, dont les journalistes bénéficient eux aussi de vacances (du moins on l’espère!), a l’immense mérite de continuer à alimenter la réflexion des lectrices et lecteurs qui la consultent. Mais ils et elles sont, paraît-il, de moins en moins nombreux…
Il n’est évidemment pas question ici de réduire l’humain à sa rationalité, censée tout de même le hisser au-dessus de ses instincts et de ses affects. L’Histoire a hélas fourni de tragiques exemples de planifications rationnelles. Mais il est tout aussi réducteur et dangereux de s’en remettre au vécu ou au ressenti, parce qu’ils sont sans distance ni critique, quitte à tordre la réalité en dépit des faits. Dernier avatar rencontré sur Facebook: ce sont les personnes vaccinées qui diffuseraient les fameux variants du virus!
Outiller nos jeunes pour penser, vraiment
Dans peu de temps, les enfants et les jeunes vont retrouver le chemin des lieux d’enseignements, qui ont toujours été les sanctuaires de l’apprentissage mais aussi du développement complexe de l’intelligence, cette capacité de comprendre le monde dans lequel on vit – et soi-même. Comment ces générations pourront-elles comprendre et gérer sainement un monde en pleine transition, affronter des problèmes et problématiques tout à fait inédits, se donner des cadres de pensée et d’éthique pour répondre à des questions radicalement neuves, s’ils n’ont pas été outillés pour penser, penser vraiment? Les réponses qui étaient celles de leurs parents ne leur serviront de rien, ou si peu, et encore moins ces discours logorrhéiques pétris de sentiments et d’a priori qui ne prennent pas le temps de la réflexion et de l’analyse. N’est-ce pas déjà assez qu’ils doivent sérieusement envisager de gérer les conséquences de nos inconséquences? Si le seul modèle de pensée qui leur est légué relève du "j’aime/j’aime pas" et du "c’est vrai puisque je le crois", ils auront raison de nous considérer comme des enfants qui n’ont pas grandi, rivés à leur seul principe de plaisir. Pour cela non plus, il n’est peut-être pas encore trop tard, mais il est grand temps.
Myriam TONUS
Laïque dominicaine,
Accompagnatrice fédérale de Sens du Patro