Il y a de ces mots qui sont des concepts-valise. Il suffit parfois de passer la frontière pour qu’ils changent de sens. Ainsi celui de laïcité. Outre-Quiévrain, il cristallise tous les débats depuis la séparation de l’Eglise et de l’Etat en 1905. En Belgique, il désigne une organisation quasi-cultuelle, le CAL. Cette laïcité peut être ouverte ou fermée, inclusive ou exclusive, selon ceux qui en parlent. On peut aussi la confondre avec la sécularisation, autre mot ambigu, mais qui dans le langage courant désigne perte de la dimension religieuse de nos sociétés.
Des croyants laïques
« Feu la chrétienté », déclarait en 1955 le philosophe Emmanuel Mounier, pourtant chrétien. Il signifiait non seulement la fin de cette étape historique où sociétés civile et religieuse vivaient en collusion, mais aussi celle de l’hégémonie culturelle chrétienne. La citoyenneté – la fraternité, oserais-je dire – est en effet supérieure aux organisations religieuses. C’est en substance le langage qu’a tenu le pape François en Irak, prônant le retrait des religions – pas des croyants – de la politique.
Les croyants eux-mêmes peuvent se dire laïques, respectueux de cette autonomie du politique par rapport au religieux et vivant leur foi de manière non dogmatique. Repris par les politiques, il désigne la séparation des institutions religieuse et Etatique et peut virer à l’anticléricalisme et même à l’anti-religion. Il existe, en France comme en Belgique, une vision intolérante de la laïcité, une perception négative du rôle des religions.
En Belgique, le mot n’est pas repris dans la Constitution. Lors de l’indépendance de la Belgique, libéraux comme catholiques ont opté pour un autre régime, non pas concordataire – ce qui signifie, à l’origine, un contrat passé entre un Etat et le Vatican –, mais de « liberté protégée ». Il y a liberté et séparation, comme en France, mais contrairement à elle, il y a aussi reconnaissance et soutien des religions qui sont subventionnées. La Constituante a en effet estimé que les cultes créaient du lien et offraient du sens, contribuant ainsi à la vie sociale.
Une société « post-séculière »
L’homme comme la société ne peuvent vivre sans une certaine transcendance, sans accepter quelque chose qui les dépasse. Sinon, tout serait finalement réduit à « la main invisible du marché ». Le croyant s’adresse à cette transcendance et entretient avec elle une relation personnelle et l’exprime notamment par le culte. Comme tout citoyen, il se doit de travailler à l’avenir de la société et peut entrer dans le débat démocratique sur pied d’égalité, sans schizophrénie. Ses convictions et ses engagements sont publics. La foi est le meilleur du croyant, le moteur de son action. Deux travers sont ici à éviter: s’en cacher ou tomber dans le prosélytisme.
Le philosophe athée Jürgen Habermas appelle de ses vœux l’entrée dans une ère post-séculière, un retour de la parole des croyants dans le débat sociétal, après ce temps de retrait des religions? La foi religieuse, qui est source pour le croyant, peut être aussi une ressource, parmi d’autres, pour la société. Ni monopole, ni silence. Les religions font entendre autre chose, qui mérite d’être pris en compte, quelles que soient les convictions de chacun. Mais en modernité, les religions se doivent, de leur côté, d’opérer une démarche critique avec l’aide de la raison, pour ne pas tomber dans le fanatisme et la superstition.
Le chrétien travaille à l’avenir de la société, mais sans croire que sa religion est la seule responsable de notre devenir, le seul ciment social, comme au temps de la chrétienté. La neutralité de l’Etat, face aux différents systèmes religieux, rend autonome chaque religion par rapport aux autres et par rapport à l’Etat. Elle offre un espace de convivialité et permet le dialogue entre elles, dialogue religieux mais aussi à propos des questions sociétales. Je prône donc une vision plus inclusive, plus anglo-saxonne de la laïcité, l’horizon de tout cela étant la fraternité humaine.
Charles Delhez, s.j.
Curé de Blocry,
Conseiller spirituel des Equipes Notre-Dame
Voir Les religions face à la laïcité (mars 2021), visioconférence de l’association franco-belge Poursuivre
(www.mouvement-poursuivre.fr) en partenariat avec le Centre Avec (www.centreavec.be).