La Pentecôte transforme des poltrons en témoins. Les apôtres iront « évangéliser » le monde entier. Evangéliser, un mot qui en rebute beaucoup. Il est souvent associé, voire identifié à colonisation et œuvre de civilisation (entendez la nôtre). On le confond avec le prosélytisme: partir en campagne pour faire de nouveaux adeptes. Et, quand on estime la tâche nécessaire, on la croit réservée aux prêtres et aux religieux et, parmi eux, les missionnaires en habits blancs. Mais tout cela est d’une autre époque.
Evangéliser n’est pas une affaire de prédication, que ce soit à l’église, dans les médias ou sur les réseaux sociaux. Il n’est pas tant question de proclamer une bonne nouvelle – étymologie du mot Evangile – que d’être une bonne nouvelle contagieuse. Jésus n’évangélisait pas seulement par des mots, mais aussi par ses gestes attentifs à chacun, par sa présence ouverte à tous.
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Nous n’avons pas besoin de maîtres d’école ou de donneurs de leçons, mais de témoins qui n’ont rien à gagner, à défendre, à imposer, ni rien non plus à taire. Ils désirent simplement partager la joie qu’ils ont eux-mêmes reçue. Evangéliser quelqu’un, c’est se comporter avec lui de telle manière qu’il découvre, fût-ce lors d’une rencontre occasionnelle ou fortuite, qu’il mérite mon respect, qu’il est à mes yeux plus noble qu’il ne le pensait, qu’il y a en lui plus grand que lui. Il s’éveillera ainsi à une nouvelle conscience de lui-même. Cela ne peut se faire qu’en lui prêtant vraiment attention, en lui offrant mon amitié désintéressée, fût-ce le temps de cette rencontre. N’est-ce pas la plus belle manière de lui dire qu’il est aimé de Dieu?
Témoigner suppose d’abord de se laisser transformer par l’Evangile afin de devenir source de vie, notamment pour ceux qui sont à la marge ou en situation difficile, matériellement ou psychologiquement. C’est mettre de l’Evangile dans mon comportement, dans mes conversations, dans ma façon de voir, sans ostentation ni triomphalisme, mais en toute humilité. Il s’agit, à la lumière de l’Evangile, d’humaniser ce qu’il m’est possible d’humaniser aujourd’hui et là où je suis, au travail, en famille et dans mes relations, en évitant d’être trop vite content de moi ou, a contrario, de justifier à bon compte mes tiédeurs.
Mais que répondre quand la question religieuse est explicitement abordée? Le risque est de se braquer en confondant la Bonne Nouvelle avec une institution à défendre ou de se contenter de décrier celle-ci avec l’interlocuteur. L’important est que langage soit d’espérance et de joie et que, au-delà des mots exprimés, la rencontre elle-même ait un goût de vie et soit ainsi en cohérence avec le message.
Cheminer ensemble vers la vérité
L’Eglise est invitée à entrer en dialogue avec le monde dont elle est solidaire. Paul VI avait cette belle formule: « L’Eglise se fait parole; l’Eglise se fait message; l’Eglise se fait conversation » (Ecclesiam Suam, 1964, n°67). Trop souvent, les croyants sont apparus comme ayant « quelque chose derrière la tête » quand ils parlent ou agissent, comme si l’objectif était de recruter pour la troupe. Evangéliser aujourd’hui, c’est autre chose: il s’agit de partager simplement et gratuitement avec d’autres sur notre chemin commun d’humanité.
Toute conviction religieuse mérite le respect. Nous n’avons pas le monopole du « salut ». C’est Dieu qui sauve, en empruntant bien des chemins pour rencontrer chacun là où il en est. Le but n’est pas que l’autre croie comme nous, mais qu’ensemble, nous cheminions vers plus d’humanité. Paul VI le rappelait: les hommes pourront aussi être sauvés par d’autres chemins que le nôtre.
Si nous voulons faire grandir l’Eglise, attachons-nous davantage à sa vitalité qu’à des tableaux statistiques. Œuvrons au dynamisme et à la vérité de nos communautés, chacun et chacune ayant sa part de responsabilité. Elles sont un lieu de communion et de ressourcement pour qui trouve dans l’Evangile des valeurs qui transforment ce monde. Elles se doivent d’être accueillantes à tous ceux qui cherchent un surplus de sens. La foi n’est pas une conviction strictement privée, un secret à garder, mais un trésor à partager. C’est cela « Evangéliser » aujourd’hui.
Charles Delhez, s.j.
Curé de Blocry,
Conseiller spirituel des Equipes Notre-Dame